La Tora : un élixir de vie-Zoth Habrakha

“Que Réouven vive et soit immortel” (Deutéronome 33:6). La mort n’épargne personne. Que voulait donc dire Moïse dans ce verset?

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le Rav David Hanania Pinto

Posté sur 08.11.21

On peut remarquer un certain pléonasme dans la bénédiction de Moïse à Réouven : “Que Réouven vive et soit immortel” (Deutéronome 33:6). La mort n’épargne personne. Que voulait donc dire Moïse dans ce verset ?

La Tora sert d’élixir de vie à tout le corps de l’homme (‘Irouvin 54a ; Qidouchin 30b). En s’engageant dans l’étude de la Tora on en fait littéralement partie, elle nourrit ses deux cent quarante-huit membres et trois cent soixante-cinq nerfs et tendons. C’est Réou Ben : quand on étudie la Tora intensivement, et “roé” (“ne voit”) qu’elle, on se transforme en Ben Tora, fils de la Tora.
 
Ce fils de la Tora vit donc pour l’éternité, car nous savons qu'après leur mort, les Tsadiqim portent le nom de vivants et sont même plus grands après leur mort que de leur vivant. C’est la signification de “Que sa population soit nombreuse” qu’on peut aussi traduire par : “Il mourra après un nombre restreint d’années et passe de suite à un monde où tout est bon.” C’est en étudiant intensément qu’on apprécie la douceur de la Tora et qu’on peut vivre dans les deux mondes éternellement.
 
Moïse a supplié l’Éternel de le laisser vivre et le faire entrer en Terre d’Israël, mais l’Éternel s’y est opposé. Le Midrach rapporte qu’Il L’a supplié d’y entrer comme un oiseau ou comme un poisson, ses deux mains servant de nageoires. L’Éternel lui répondit : “Si J’agis de la sorte, Je transgresse Mon serment (cf. Dévarim Raba, Vaet’hanane).
 
Comment peut-on concevoir que le père des prophètes (Vayiqra Raba 1:15) qui a refusé de s’alimenter du lait des égyptiennes pour que sa bouche puisse parler à la Providence Divine, qui a parlé à l’Éternel face à face, qui est monté corps et âme au Ciel et a reçu la Tora, qui a accédé à des niveaux que nul être humain n’a jamais atteint, ait pu implorer D-ieu de le transformer en oiseau ou en poisson, prêt à manger de l’herbe ou même des insectes interdits à la consommation ?
 
C’est grâce précisément à sa grandeur que Moïse appréciait tellement la vie, car tant qu’on est en vie, on peut s’engager dans l’étude de la Tora, en accomplir les mitswoth et améliorer sans cesse ses traits de caractère et sa conduite. On procure ainsi un grand plaisir à son Créateur. Alors qu’après sa mort, on est exempt de toute étude de la Tora et des préceptes divins.
 
Comme nous l’avons vu, une heure de pénitence et de bonnes œuvres dans ce monde a plus de valeur que toute la vie future. Lors de son séjour dans les Cieux, rapporte la Guémara (Chabath 88b), les anges voulurent brûler Moïse de l’haleine de leur bouche, car ils s’opposaient à ce que le fils d’une femme se trouve en leur compagnie. Jaloux de lui, ils se demandaient comment un homme, fait de chair et de sang, eût réussi à dominer son mauvais penchant, à s’élever au Ciel et rester vivant.
 
Ils ont alors pris conscience de leur insignifiance, car toute leur essence se traduit par le fait qu’ils n’ont pas de mauvais penchant et ne possèdent pas de corps. Ils ne pouvaient pas comprendre la présence parmi eux d’un mortel au visage radieux comme la luminosité du ciel et brillant comme le soleil (Béréchith Raba 75a), alors qu’eux, quand ils sont descendus sur terre, ils ont pris des filles du pays et péché avec elles durant la génération du Déluge (cf. Nida 61a). Moïse est donc supérieur aux anges grâce à la Tora.
 
Ayant triomphé des anges, Moïse saisit le Trône Céleste et leur demanda : “Est-ce que vous pouvez être jaloux ? Le mauvais penchant réside-t-il en vous ? Si c’était le cas, vous n’auriez pas pu résister.” Les anges louèrent alors l’Éternel : “Éternel, notre Seigneur ! Que Ton nom est glorieux dans toute la terre ! (Psaumes 8:10; Chabath 88a). Ils ont compris que pour être en mesure de dominer le mauvais penchant, les Enfants d’Israël devaient recevoir la Tora.
 
Ayant réalisé que ce n’est que dans ce bas monde et non dans les cieux qu’on peut servir D-ieu, Le louer et L’exalter constamment, avec l’assistance divine, Moïse exprima le désir de se transformer même en oiseau, pourvu qu’il reste en vie et ne cesse de Le servir, de Le louer et L’exalter. Il était même prêt à perdre son statut de prophète d’Israël.
 
Lors d’une visite chez l’Admour de Belz en Israël, notre grand ami nous a demandé comment on peut comprendre la prière du chien, animal particulièrement insolent et grossier, qui s’exclame toutefois : “Venez ! Nous voulons nous prosterner, nous incliner, ployer les genoux devant l’Éternel, notre D-ieu” (Psaumes 95: 6). Un tel insolent a-t-il le droit de prier devant Lui et Le louer ?
 
C’est là que nous voyons la grandeur du chien, lui avons-nous répondu. Car d’un côté il est insolent et grossier et rien ne lui fait honte. Il joue sincèrement son rôle, et s’il est insolent et grossier ce n’est pas sa faute, car c’est ainsi qu’il a été créé. De l’autre, il est doué d’une très grande vertu: la reconnaissance et la fidélité absolues à son maître. Il se prosterne en outre devant D-ieu et se soumet à Lui. Il invite même tout le monde à exprimer sa reconnaissance au Créateur.
 
L’homme insolent en revanche ne peut se soumettre à D-ieu. Il incombe par conséquent à tout être créé à l’image de D-ieu qui a insufflé dans ses narines un souffle de vie et qui est né doué d’intelligence, d’épouser les attributs divins et se soumettre à Lui par l’étude de la Tora. Il aura alors droit à la vie éternelle.
 
Pour Moïse, la vie revêtait une grande importance. Il aspirait à tout prix à rester en vie pour servir D-ieu. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a commencé, avant sa mort, son discours par le mot “Vézoth”, qui est la Tora, comme il est écrit : “Vézoth ceci est la Tora…” Ceci nous apprend que celui qui s’engage dans l’étude de la Tora, “Vézoth Habérakha”, la Tora est en elle-même une bénédiction pour lui. Le monde a été créé en six jours précisément pour la Tora (Pessa’him 68b) qui a été donnée le sixième jour du mois juif de sivan : c’est la bénédiction pour tout Israël.
 
Comme nous l’avons vu, le Midrach (Tan’houma Béha’alotékha 10) rapporte qu’avant la mort de Moïse, D-ieu a caché les deux trompettes pour qu’il ne convoque pas le peuple avec elles. D-ieu voulait qu’il aille en personne chez chacun des Enfants d’Israël pour lui faire prendre conscience précisément de la valeur de la vie, l’inciter à exploiter tout son temps à l’étude de la Tora, lui expliquer que s’il se hâte tant, c’est parce qu’il ne lui reste plus de temps à vivre. Moïse a donc prié que les jours ne viennent pas à leur fin pour qu’il puisse continuer à servir D-ieu de tout son cœur et de toute son âme.
 
Quand le Roi David apprit qu’il devait mourir un Chabath, il passa cette journée à étudier la Tora avec le maximum de vigueur et d’intensité. La question qui se pose est évidente, se croit-il immortel ? Ignore-t-il que la mort n’épargne personne ? C’est qu’il désirait vivre dans ce monde pour continuer à s’engager assidûment dans l’étude de la Tora pour procurer du plaisir à son Créateur, car la vie ne revêt vraiment de l’importance que dans ce monde où on peut étudier la Tora, le meilleur remède contre le mauvais penchant. Ce n’est aussi que dans ce monde qu’on peut louer et exalter D-ieu.
 
Le Or ‘Hadach cite un enseignement de nos Sages selon lequel le Saint, béni soit-Il, promit au Machia’h (le Messie) fils de David, qui doit se révéler au plus tôt de nos jours, de lui donner tout ce qu’il veut, comme il est écrit : “Je veux proclamer ce qui est une loi immuable. L’Éternel m’a dit : 'Tu es mon fils, c’est Moi qui aujourd’hui t’ai engendré ! Demande-le Moi et Je te donnerai'…” (Paumes 2:7,8). Voyant la mort du Machia’h, fils de Joseph, il dit devant Lui : “Maître de l’Univers, je ne demande qu’une seule chose : la vie” (Souka 55a).
 
Nous voyons ici, explique l’auteur, que si le Machia’h, fils de Joseph, n’avait pas été tué, le Machia’h, fils de David, aurait dû implorer D-ieu de le faire accéder à des niveaux spirituels plus élevés, comme il sied au fils de David. Mais la mort du Machia’h ben Yossef a limité toutes ses demandes, et Il a imploré D-ieu de lui donner essentiellement la vie, qui a le plus de valeur.
 
La disparition du Machia’h ben Yossef a contribué à mettre en relief la valeur de la vie : y a-t-il en effet un plus beau cadeau que la vie ? Existe-t-il un plus grand bonheur et une plus grande richesse qu’elle ? La vie comprend toutes les bénédictions, car à chaque instant on peut accéder à des niveaux sublimes et éternels. Quand on a la vie on a tout, et on n’a plus besoin de rien d’autre !
 
Pourquoi Machia’h ben David a-t-il demandé à vivre ? Il vivra assurément pour accomplir sa mission de libérer le Peuple d’Israël ! C’est qu’après la mort de Machia’h ben Yossef, il considérait que plutôt que d’être un Machia’h mortel, il valait mieux vivre sans ce titre et ne pas mourir pour servir D-ieu et Lui procurer du plaisir. Pour lui rien ne vaut la vie éternelle où on peut s’engager dans l’étude de la Tora, développer sans cesse ses connaissances de D-ieu, sa sagesse et sa crainte du Ciel.
 
Pourquoi toute cette course effrénée pour s’enrichir, si on sait qu’à la fin on doit mourir et laisser ses biens à d’autres (Psaumes 49:6) ? Le Roi Salomon enseigne à cet effet : “Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort” (Écclésiaste 9:4). Comme nous l’avons vu plus haut, le chien loue son Créateur et appelle tout le monde à se soumettre devant Lui. Quand nous adressons nos prières à l’Éternel, contentons-nous de L’implorer à nous donner la vie (comme dans les prières de Roch Hachana), car dans la vie on peut accéder à de hauts niveaux spirituels.
 
Nous avons eu souvent l’occasion de remarquer que des gens qui écoutent un bel enseignement de Tora d’un conférencier de marque, sortent du cours et poursuivent allégrement leur train-train quotidien. Pourquoi ses paroles enthousiastes n’ont-elles pas imprégné leur cœur, alors qu’elles peuvent laisser un grand impact chez un individu particulier et lui faire reprendre la bonne voie.
 
C’est que ceux qui se rendent régulièrement à la synagogue sont habitués à entendre les drachoth (discours) de rabbins qui ne laissent donc pas un grand impact chez eux. Mais s’ils venaient dans l’intention de mettre ces enseignements en pratique, ils s’en seraient très certainement imprégnés.
 
En outre, il ne suffit pas de prier régulièrement, il est indispensable de fixer des temps pour l’étude de la Tora, car dans notre prière du matin nous implorons D-ieu d’éclairer nos yeux avec Ta Tora et attacher notre cœur à Tes commandements, et D ieu a entendu notre prière et a exaucé la première partie de notre requête. Comment pourrions-nous alors nous abstenir d’ouvrir un livre pour jouir de la lumière splendide de la Tora qui nous a été offerte comme cadeau par l’Éternel, ou nous permettre de nous servir de cette lumière pour des futilités ?
 
Notre châtiment serait infiniment plus sévère, à D-ieu ne plaise, parce que tout en profanant le nom du Ciel, nous nous sommes abstenus de nous engager dans l’étude de la Tora.
 
Concentrons-nous donc quelques instants avant de prier ou d’étudier la Tora pour que ce Service divin ne se transforme pas en routine pour nous. Approfondissons-nous sur la sainteté de la Tora et veillons particulièrement à mettre en pratique ce qu’on nous aura enseigné. Autrement, à quoi servirait notre vie ?