Les limites d’une controverse – Qora’h

Pourquoi Qora'h fut-il puni ? Parce qu’il aurait dû cesser cette controverse et s’est abstenu de le faire. Pourtant, il n’a pas empêché la catastrophe...

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le Rav David Hanania Pinto

Posté sur 06.04.21

L’entité de Qora’h était foncièrement souillée. Il a souillé la sainteté et affecté l’homogénéité de l’univers, tout en faisant partie des porteurs de l’Arche Sainte et connaissant le Nom Ineffable. Qora’h a même voulu rapprocher la fin des temps, comme l’écrit l’Admour de Satmar. Comme c’était un grand démagogue, il a réussi à joindre dans ses rangs une assemblée de deux cent cinquante notables, tous saints, comme en témoigne la Tora.

Comment a-t-il donc agi de façon tellement insensée ? Qora’h ne partageait pas le point de vue de Moché sur le concept de la vache rousse. D’après les livres saints, dans l’avenir, Qora’h sera nommé Grand Prêtre. Il visait dans un sens à exalter le nom de D-ieu. Pourquoi a-t-il donc été puni ?
 
Ce qui prime – enseigne le Talmud (Sanhédrin 106b) – c’est le cœur qui doit se conformer à la Volontédivine, aller de pair avec l’expression de la bouche ; tous nos actes seront alors également intègres. Il fautdire la vérité de tout son cœur (Psaumes 15:5) : on pourra alors accéder aux niveaux spirituels les plusélevés.
 
Le Talmud (Bérakhoth 61b) raconte à cet effet qu’au moment où on le mettait à mort, Rabbi 'Aqiva récita le Chéma’. “Jusque-là va la ferveur de ta dévotion ?” lui demandèrent ses disciples. “Toute ma vie,j’aspirais à mettre en application le verset : 'Tu aimeras l’Éternel, ton D-ieu de tout ton cœur, de toute tonâme' (Deutéronome 6:5)”, leur expliqua-t-il, “même s’Il prend mon âme. Maintenant que j’en ai l’occasion,comment ne pas l’accomplir ?”
 
Rabbi 'Aqiva estimait qu’il n’était pas sincère lors de sa récitation du Chéma’ quand il disait : “Tu aimeras l’Éternel… de toute ton âme.” Maintenant que l’occasion lui était donnée desanctifier le Nom de D-ieu, il était joyeux de livrer son âme au Saint, béni soit-Il, et par là de prouver qu’ilétait vraiment sincère.
 
En avouant à l’Éternel : “Je suis trop petit pour toutes les grâces” (Genèse 32:11), lors de sa rencontre avec son frère 'Essav, notre patriarche Ya’aqov semblait ignorer la promesse de l’Éternel : “Je veillerai sur chacun de tes pas” (ibid. 28:15). En vérité, Ya’aqov – qui croyait à toutes les promesses de D-ieu – implorait D-ieu de l’aider à surmonter les doutes qu’il entretenait dans son inconscience, de ne pas subir un châtiment pour eux par l’intermédiaire d’'Essav. Il suppliait D-ieu de l’aider à croire de tout cœur, sans la moindre défaillance.
 
Servir D-ieu avec tout son cœur
 
On peut s’engager dans l’étude de la Tora et accomplir des mitswoth par routine, sans l’enthousiasme du cœur qui est indispensable. Toutefois, si on œuvre à rectifier ses traits, on peut servir D-ieu de tout cœur. Nous connaissons tous l’histoire de Rav Safra qui se destinait à vendre à un certain prix un produit à quelqu’un. Quand le client se présenta devant lui, Rav Safra était occupé à réciter le Chéma’ et ne pouvait pas répondre.
 
Le client, croyant qu’il exigeait un prix supérieur à celui qui avait été fixé, proposa un prix plus élevé, maisRav Safra – qui put se libérer finalement – n’accepta que le prix de la première proposition, mettant ainsi en pratique le verset : “Qui dit la vérité de tout son cœur” (cf. Makoth 24a ; Rachi).
 
Commentant le verset : “Afin que vous ne vous égariez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux (Nombres 15:39), Rachi (loc. cit.) fait remarquer que l’œil voit en premier. Ce n’est qu’ensuite que le cœur convoite. Pourquoi le verset inverse l’ordre : le cœur avant les yeux ? C’est que tout dépend du cœur : s’il n’est pas intègre, on est susceptible de succomber au péché par la vue, et même si on accomplit des mitswoth, on oublie tout car le cœur est absent et la vue de choses interdites fait tout oublier. La Tora qu’on a étudiée n’est alors d’aucune valeur.
 
Si le verset (Deutéronome 6:5) mentionne en premier: “Tu aimeras l’Éternel… de tout ton cœur…” c’est que pour arriver à servir D-ieu de toute ton âme et de tout ton pouvoir, il faut avoir un cœur intègre. L’Éternel nous protégera alors, comme il est écrit : “Il veille sur les pas de ses adorateurs (Samuel I, 2:9).
 
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi Qora’h a exposé devant Moché des talitoth (châles de prières) toutes d’azur. Nous savons à cet effet que le talith comprend quatre franges (tsitsith), formées chacune de huit fils, au total donc 32, qui est la valeur numérique de “lev” (“cœur”) : ceci nous montre que le cœur de Qora’h n’était pas intègre talith entièrement azur dépourvu de tsitsith, de lev.
 
C’est pourquoi il a commis un si grand péché et subi un châtiment si sévère. Cette parure extérieure sans cœur, nous la retrouvons chez I’hiaHa Chiloni, qui était un grand prophète et qui est sorti d’Égypte avec les autres enfants d’Israël (Bava Bathra 121b ; Exode 6:16). Séduit par Yérovo’am ben Névat – car il ne pouvait pas concevoir qu’un roi puisse le tromper – il a signé sur le décret permettant aux enfants d’Israël d’adorer des idoles (Sanhédrin 102a). C’est ce qui arrive quand le cœur ne vise pas sincèrement à servir D-ieu.
 
Les enfants d’Israël auraient dû écouter la voix de Moché et Aharon, comme le prescrit le Talmud (Qidouchin 42b), mais ils n’ont pris en considération que le côté superficiel et extérieur de Qora’h et de son assemblée. Comme nous l’avons vu, ce dirigeant avait quelques aspects positifs. Il visait peut-être quelque peu à sanctifier le nom de D-ieu, mais c’est essentiellement l’orgueil et les honneurs qu’il recherchait en s’opposant à Moché, le Tsadiq, qui est le fondement de l’univers.
 
Quand la controverse a commencé, il a cessé de viser le nom de D-ieu. Qora’h a alors “vaylaqa'h, vay” (valeur numérique : 16) constituant la moitié de lev (32), car son cœur n’était pas du tout intègre. Comme il a péché et fait pécher les autres, la terre l’a englouti, “bala’oto” ; ce terme “bala’ ” se composant de “lev” et “‘ayin”, l’œil qui l’a perverti. Deux cas différents illustreront notre point de vue sur ce sujet :
 
Recevoir la Tora dans son cœur
 
1) Commentant le verset : “Chaoul était alors âgé d’un an…” (Samuel I, 13:1), le Talmud (Yoma) explique qu’il n’a pas goûté le péché, tout comme un bébé d’un an : il était juste et modeste et a toujours fui l’autorité. Même quand les pierres du pectoral du Grand Pontife ont indiqué qu’il était destiné à régner sur le Peuple d’Israël, il s’est caché… (Samuel I, 10:22).
 
C’est que Chaoul craignait de s’enfler d’orgueil par suite de sa nomination et que sa bouche n’exprime plus les pensées de son cœur. Il était tellement effrayé par l’ampleur de l’épreuve qu’il devait surmonter, qu’il s’est humilié, qu’il s’est comparé aux ânesses qu’il était allé chercher sur l’ordre de son père avec l’un des serviteurs (Samuel I, 9:3). Arrivé au pays de Souf, il dit même : “Rebroussons chemin, mon père pourrait bien ne plus songer aux ânesses et s’inquiéter de nous” (ibid. 9:5).
 
La bouche de Chaoul exprimait sincèrement ce que son cœur ressentait. Il veillait particulièrement à ne pas faire preuve d’orgueil, mais à se délecter plut»t de tout cœur de la parole de D-ieu.
 
2) Avant le Don de la Tora, Israël campa en face de la montagne (Exode 19:2), comme un seul homme, d’un même cœur, comme l’explique Rachi en rapportant le Midrach (Mékhilta, loc. cit.). Une union complète des cœurs est donc nécessaire pour être digne de recevoir la Tora, ce don précieux caché jalousement dans la Trésorerie du Saint, béni soit-Il, et dont Il se délecte tous les jours (Zohar II, 217a).
 
On est aussi digne de recevoir un autre cadeau divin : le Chabath (Chabath 10b). Les enfants d’Israël ont toutefois passé des moments difficiles par la suite. Oubliant leur proclamation unanime : “Nous ferons, puis nous entendrons”, ils ont commis le péché du veau d’or.
 
La génération de la Connaissance ne fut unie qu’une courte période. Ils se seraient abstenus de commettre tous les péchés dans le désert s’ils avaient continué à être unis, d’un seul cœur. La bouche des explorateurs n’exprimait pas sincèrement ce que leur cœur ressentait, comme il est écrit au sujet des explorateurs : “Ils l’amadouaient avec leur bouche, en paroles ils Lui offraient des hommages menteurs, mais leur cœur n’était pas de bonne foi à Son égard” (Psaumes 78:36-37).
 
Ils ont fini par parler du mal d’Eretz Israël. C’est sans doute ce qui justifie pourquoi les enfants d’Israël ont reçu la Tora par contrainte et pas d’un cœur entier, comme nous l’avons vu dans la sidrathYithro, et commis de nombreux péchés.
 
3) Le Talmud (Bérakhoth 28a) raconte que lorsqu’on a voulu le nommer Prince d’Israël, Rabbi El’azar benAzaria est allé consulter sa femme. “Demain, peut-être, ils te destitueront, lui fit-elle remarquer [c’est ce qui allait se passer partiellement].
 
Peut-on concevoir que Rabbi El’azar fut intéressé par ce poste d’autorité à un tel point d’avoir peur de perdre le poste ? On peut répondre par l’affirmative, en soulignant toutefois qu’il visait particulièrement à fuir toute trace d’orgueil en exerçant son pouvoir. Il voulait s’efforcer de dire constamment la vérité de tout cœur. Sa femme lui fit remarquer : “Si on te décharge de ces fonctions, tu pourras démontrer à ceux qui t’ont nommé que tu es resté le même : ta bouche n’a fait qu’exprimer ce que ton cœur ressentait.
 
Une franchise véritable
Quand Yéhochoua’ annonça à Moché qu’Eldad et Médad avaient prophétisé sa mort, Moché garda le silence, puis il dit : “Ah ! Plût au Ciel que tout le peuple de D-ieu se composa de prophètes” (Nombres 11: 29) et entre en EretzIsraël sous ta direction !” N’est-ce pas là un signe illustre de modestie que de céder sa place à son disciple !
 
Si Rabban Gamliel regretta d’avoir été destitué de son poste de Prince d’Israël au profit de Rabbi El’azar benAzaria, c’est parce que cela lui aurait permis de surmonter bien des épreuves, de veiller particulièrement à ce que sa bouche exprime ce que son cœur ressent (Rabban Gamliel et Rabbi El’azar finirent par occuper ce poste à tour de rôle : deux semaines pour le premier et une semaine pour le deuxième).
 
Nous voyons de là, que ceux qui occupent des postes de responsabilité – tels que par exemple président d’une communauté, trésorier, rabbin, etc. – doivent s’efforcer de faire preuve de l’honnêteté la plus totale et d’être à l’intérieur d’eux-mêmes ce qu’ils paraissent à l’extérieur. Ils doivent représenter leur communauté avec le maximum d’intégrité et de droiture et fuir toute trace d’orgueil. Dans toutes les démarches qu’ils entreprennent, leur cœur doit s’unir à D-ieu.
 
Si Qora’h a tellement péché, c’est parce qu’extérieurement c’était un grand Sage, mais il convoitait la prêtrise et les honneurs qui ne lui convenaient pas. Nos Sages enseignent à cet effet (Bérakhoth 6a) que celui qui craint le Ciel, ses paroles se font entendre, car chez lui, les paroles qui sortent du cœur entrent dans le cœur : il ne cesse alors de s’élever.
 
Toutefois, enseigne le Talmud (Chir HaChirim Rabah 7:10), dans l’avenir, le Troisième Temple sera construit par le Roi Machia’h et Qora’h y occupera les fonctions de Grand Prêtre, car c’était là essentiellement le but de sa controverse avec Moché et Aharon. Pourquoi alors fut-il puni ? Parce qu’il aurait dû cesser cette controverse, et s’est abstenu de le faire ; il n’a pas empêché la catastrophe de s’abattre sur lui et toute sa famille.
 
Comme on le sait, le Saint, béni soit-Il, veille à récompenser les Tsadiqim dans le monde futur (PirqéAvoth 2:16 ; TorathCohanim, Vayiqra 5:17). Ses fils dirent : “Moché est vérité et sa Tora est vérité” (BavaMétsia’ 74a ; BamidbarRabah 18:16 ; Qora’h 11), car il est interdit de s’opposer au Tsadiq de la génération.

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