Le combat

Les images dans mon esprit forme une prière visuelle : "S'il te plait D-ieu, laisse-moi vivre. Laisse-moi vivre !” La sonnerie retentie, le ronflement s'arrête.

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'Hanna Kafree

Posté sur 06.04.21

Les images dans mon esprit forme une prière visuelle : "S'il te plait D-ieu, laisse-moi vivre. Laisse-moi vivre ! ” La sonnerie retentie, le ronflement s'arrête. La porte épaisse s'ouvre automatiquement. Les lumières s'allument et les techniciens entrent.
 
 
La salle d'attente est pleine de corps bleus, désaccentuant notre individualité. Cependant, chaque visage autour de moi reflète la souffrance, la crainte et la joie d'une âme particulière. Certains visages sont tout à la fois dépourvus d'émotion, dépassant tout sentiment et attention. Ceux sont des cauchemars qu'on trouve dans un tel lieu.
 
Parmi les espoirs, les rêves et les prières, il y a les cauchemars. Les gens feuillettent les magazines. Certains lisent des livres, parlent. D'autres regardent dans le vague. Le temps passe pendant qu'on attend l'appel de notre nom. Des couples sont assis ensemble, les bras croisés et les mains tendues – un silence uni de soutien.
 
Des mères sont assises avec leurs filles, des pères sont assis avec leurs fils. Des personnes âgées ; des jeunes gens ; des gens provenant de toutes les régions du monde, de professions différentes et de milieux différents. J'entends parler l'espagnol, l'allemand, le français, l'anglais, le chinois … Nous sommes tous différents et pourtant, nous avons quelque chose en commun qui forme un solide lien qui passe à travers les lignes et les murs qui divisent si fermement un individu de l'autre. Sans aucune parole, nous comprenons tous que chacun de nous est mortel, que le cancer est une maladie qui ne fait pas de distinction entre les races, les religions, le sexe, l'âge ou la nationalité. Il ne fait aucun préjugé. Nous sommes tous associés dans notre vulnérabilité.
 
Je suis assise dans cette salle parmi ces corps familiers recouverts de bleus, quatre jours par semaines. Je souris et dis bonjour quand je suis là, parce que les sourires manquent.
 
Une jeune femme bavarde et rie, souriant avec une vieille dame qui est sans doute sa mère. La vieille dame est reliée à une intraveineuse. Ses yeux sont placides ; pourtant elle observe avec adoration le visage de sa fille. La vieille dame est heureuse d'avoir avec elle la jeune femme et ne semble pas remarquer la nervosité de sa fille. Mais moi je vois bien le sourire forcé, les lèvres palpiter vers le haut, pendant que ses yeux refoulent des larmes. Ses doigts bougent rapidement, dansant au rythme de sa voix, traçant des formes dans l'air au-dessus de sa tête. Elle a besoin de cacher son émotion, de protéger sa mère de l'anxiété réprimée qu'elle ressent.
  
Je m'absente quelques minutes pour aller aux toilettes. À mon retour dans la salle d'attente, je vois la jeune femme seule maintenant avec ses pensées, se diriger rapidement vers l'ascenseur. Une larme s'est échappée de son oeil, celle qu'elle n'aurait pas voulu que se mère voit.
               
Il y a des distractions agréables dans la salle. Trois veilles dames discutent avec humour sur la meilleure manière de soulager la nausée. Les petits enfants – chauves à cause de la chimiothérapie – rient et gloussent pendant qu'ils jouent avec des jeux fournis par le personnel.
 
Ils sont insouciants et joyeux, leurs sons taquins se distinguent des conversations chuchotées par les adultes autour d'eux. Ils sont inconscients des expressions tendues sur les visages de leurs parents, ne comprenant peut-être pas leurs propres épreuves. Ou peut-être qu'ils savent quelque chose de plus profond.
         
J'attends habituellement une demi heure – quelques fois plus – avant que mon nom soit appelé. J'ai le temps de lire, de réfléchir, d'observer les gens et même de commencer une conversation si quelqu'un est intéressé. Je regarde et j'apprends de mes compagnons, en voyant tous ces individus qui viennent de tous les horizons et qui ont voyagé jusqu'ici.
 
Mis à part les enfants, je suis une des personnes les plus jeunes de cette salle. Une personne d'un certain âge regarde dans ma direction et semble surprise, comme si elle se disait, "C'est assez dur pour moi – mon D-ieu –  mais pourquoi cette jeune personne ? "
 
J'essaie d'intercepter son regard ; je souris d'une manière rassurante et donne une réponse avec mes yeux, "Ça va. Ne soyez pas inquiète pour moi. Je ne comprends pas non plus, mais ça va. J'apprends beaucoup plus ici dans cette classe de l'humanité que je ne l'aurais fait à l'université."
 
Nous apprenons tellement de la douleur. Quand je me suis réveillée de l'opération chirurgicale exploratoire, l'anxiété physique fut insupportable. À travers le brouillard palpitant et brumeux, je m'entends demander de l'aide, pour me soulager de la douleur intolérable. Mais c'est à travers une pensée particulière qui me permet de mettre tout en perspective : j'éprouve soudainement un sentiment d'identification avec les victimes des expériences médicales nazies. Celles qui n'ont pas eu d'anesthésie durant leur cruel tourment, leur souffrance indescriptible. Je n'oublierais jamais ce moment, quand ma douleur a diminué, en comparaison avec les horreurs que notre peuple a enduré.
 
Mon diagnostic est bon ne cesse de me répéter l'oncologiste. J'ai reçu des lettres de gens que je ne connaissais pas, me racontant comment ils ont survécu le cancer et qui m'encouragent à faire face à cette épreuve. J'apprécie grandement les efforts des gens pour me remonter le moral. Personne ne fait mention de l'oncle qui est mort, du cousin qui n'a pas réussi à s'en sortir, l'ami de l'ami qui… mais je sais ce qui leur ai arrivé aussi. Je veux faire partie des survivants.  
 
Finalement, mon nom est appelé. Je souris à mes pairs, je serre mon peignoir autour de moi et marche le long du couloir en direction de la salle de traitement. Sur la grande et large porte, il y a un grand triangle noir et jaune avertissant que des radiations sont utilisées ici. La porte mesure 25 centimètres d'épaisseur.
   
À l'intérieur de la salle il y a une structure énorme qui ressemble à une machine à coudre.  En dessous – là où devrait être l'aiguille – il y a une longue plate-forme horizontale où je m'allonge pendant dix minutes par jour pour recevoir un bombardement nucléaire qui me permet d'espérer vivre encore quelques temps.
             
Je monte sur un petit tabouret et m'installe sur la plate-forme. Enlevant mon peignoir bleu, je m'allonge sous 'l'aiguille'. La première fois où j'ai enlevé mon peignoir, quand je suis arrivée à bien m'aligner, cela a prit presque une heure pour les techniciens pour me tatouer des petits points noirs et me peindre de grands X rouges à travers chaque marque. J'ai pleuré d'embarras, me sentant tellement vulnérable. Les infirmières ont accouru, me demandant anxieusement : "Est-ce qu'on vous fait mal ? " Les rayons de laser rouges descendent à partir de points sur le plafond et les murs. Chaque X doit être atteint par un rayon lumineux rouge. Tous ces étrangers doivent observer et stimuler et on attend de moi que je m'adapte, que j'agisse comme-ci tout cela était normal, que mon comportement soit acceptable.
 
Une technicienne entre; elle repeint les lignes rouges qui commencent à s'effacer; elle me salue chaleureusement, sourit et me chatouille avec son pinceau. "Comment ça va aujourd'hui, mademoiselle ? " demande-t-elle.
 
Je lui renvoie un sourire courageusement et répond : "Pas trop mal, Sara."
 
Aujourd'hui on a une petite conversation à propos des avantages du wheatgrass. Demain nous discuterons de la quantité de Vitamines C journalière que je prends.
 
Un docteur entre et arrange les blocs en forme de poumons, reins et autres organes sur une petite étagère juste en dessous de 'l'aiguille', d'où la radiation est émise. Les premiers blocs doivent protéger mes organes vitaux, ainsi que mes ovaires, le foie et les poumons, des rayons qui descendent sur les parties cancéreuses de mon corps. Quand le docteur est enfin satisfait de son arrangement, il allume l'interrupteur et avec Sara, ils quittent la salle.
 
Je suis maintenant seule. Je suis surveillée par une caméra de télévision dans une salle adjacente. Je ne peux voir personne et pourtant je sais qu'ils m'observent. Je suis seule avec l'accélérateur linéaire que j'ai surnommé 'Opération chirurgicale'. 
 
'Opération chirurgicale' bourdonne pour donner la vie, ronronne et fait un bruit de ferraille. Je ne sens rien, mais je peux voir la chute de 'l'aiguille' lorsque l'obturateur s'ouvre et se referme. Je ferme les yeux et visualise un endroit à l'intérieur de moi. Je vois toutes mes amies, les bonnes cellules, fortes, vibrantes et resplendissantes de vie, s'armer de longues et minces épées, combattre et exterminer toutes les mauvaises cellules. Certaines unités ont pour mission de balayer les cellules mortes vers les vaisseaux sanguins pour les faire partir de mon corps, à tout jamais. Mon corps devient un champ de bataille, avec des bombes nucléaires lancées du ciel par 'Opération chirurgicale'. Je les encourage en silence : "Que toutes les bonnes cellules évacuent la zone de guerre. "Partez ! Détruisez les cellules ennemies ! "        
 
Même si j'ai été élevée dans une maison opposée à toute forme de guerre, cette bataille intérieure m'aide à garder le contrôle. Je suis entrain de faire tout ce qui est en mon pouvoir afin d'encourager mon corps à se battre pour survivre. Nous devons gagner cette guerre, parce que j'ai ma vie entière à vivre ! Je me décide finalement à coopérer avec le traitement radioactif qu'à l'origine je craignais tellement, bien plus que le cancer lui-même. Même le nom de cette machine en métal froid participe au bien-être de mon mental, 'Opération chirurgicale' est devenue une alliée et non plus une menace, un accélérateur linéaire menaçant qui crache du poison radioactif. Les images dans mon esprit forme une prière visuelle : "S'il te plait D-ieu, laisse-moi vivre. Laisse-moi vivre ! ”       
 
La sonnerie retentie, le ronflement s'arrête. La porte épaisse s'ouvre automatiquement. Les lumières s'allument et les techniciens entrent.
 
Le traitement est terminé, pour aujourd'hui.
 
La plate-forme sur laquelle je me trouve pivote automatiquement de dessous 'l'aiguille'. Je m'assis, m'enveloppe dans mon peignoir bleu et descend.
             
"Bonne journée, Sara.  À demain ! "
 
"Bonne journée à vous aussi."
 
Je marche tout doucement dans le couloir me demandant: "Est-ce que je vais vomir aujourd'hui ? " Quand j'atteins la salle d'attente, les visages se tournent vers ma direction. J'évalue anxieusement tout signe de crainte, de malaise, de peau rouge ou de perte de cheveu. Est-ce que j'ai l'air différente que lorsque je suis partie ? Je souris à mes compagnons d'infortune, mes partenaires dans cette épreuve et me dirige vers mon casier. J'enfile mes habits et quitte la salle de soins.
 
Au-delà des limites de cette salle, de cet immeuble, de cette réalité, il fait beau, c'est un jour d'hiver ensoleillé.

Les prières de 'Hana Kafree ont été entendues : aujourd'hui elle est guérie. Que le Tout-puissant envoie une réfoua chléma (guérison totale) à tous ceux qui sont malades. Que l'on ait tous le privilège d'apprécier les beaux jours d'hiver (et d'été). DS

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