Une absence soudaine

Nous avons pris nos dernières photos avec elle ce jour-là, mais je ne les regarderai pas souvent, préférant les photos d'avant, celles qui reflètent le rayonnement de sa vie.

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Judy Gruen

Posté sur 06.04.21

Le printemps dernier, une de mes amies a perdu ses deux parents en l'espace de trois mois. Pour ajouter à sa douleur émotionnelle, elle devait organiser la bar mitswa de son fils à la même période. Je lui avait dit: "Je ne peux tout simplement pas imaginer combien cela doit être difficile pour toi."
 
Peu de temps après, je n'ai pas simplement eu à l'imaginer, j'ai vécu quelque chose de similaire. Au mois de mai dernier, pendant que je commandais les invitations pour la bar mitswa de mon fils aîné, on a découvert que ma mère avait un cancer et que la maladie était en phase terminale. Quelques mois auparavant, les docteurs s'étaient trompés en lui disant que c'était l'arthrite qui expliquait ses douleurs violentes et implacables.
 
Rapidement, maman était devenue faible de manière alarmante et sa douleur continue. Des tests un peu plus approfondis – faits à la demande de ma soeur et de moi-même – ont révélé la dure réalité. Son docteur nous a fait de plates excuses pour n'avoir pas trouvé la vraie raison et nous a alors dit: "Amenez-là à la maison et occupez-vous d'elle. C'est le bon moment pour sortir les albums photos et réunir les petits-enfants." Son diagnostic: maman devait vivre de quelques semaines à quelques mois, dans le meilleur des cas.      
 
Ma soeur et moi avions le sentiment d'avoir été assommées émotionnellement. Le cancer avait déjà emporté notre père, notre tante et notre grand-mère. Notre frère unique avait été tué dans un accident de voiture, trente ans plus tôt. Nous ne pouvions pas imaginer perdre notre mère, qui a toujours été si forte physiquement et psychologiquement et avec qui nous étions très proches.
  
Mon lien avec maman était devenu très profond ces dernières années, rehaussé en grande partie par le temps que nous passions ensemble, souvent pendant le Chabath. Presque toutes les semaines, maman venait et s'installait au même endroit – sur le canapé du salon – pendant que les enfants autour d'elle lui montraient leurs travaux d'école, lui parlaient de leur semaine ou qu'elle leur lisait une histoire. Elle aimait également beaucoup rencontrer nos invités à notre table.
 
Maman était un ancien professeur de musée et elle possédait une connaissance impressionnante sur l'histoire juive; cette connaissance animait nos conversations.
 
J'avais commencé à essayer de convaincre maman à venir chez moi le plus souvent possible, deux ans plus tôt, lorsque ma belle-mère – que nous avons perdu depuis – était dans un état critique. "Il ne nous reste plus que ton père et ma mère," avais-je alors dit à mon mari, "les jours de la semaine sont trop mouvementés pour les visites. Nous devons les avoir ici le Chabath." Je n'aurais jamais pu imaginer combien ce temps serait si précieux, n'ayant pas soupçonné qu'il serait si limité. 
 
Après le diagnostic alarmant de maman, ma soeur et moi avons été emportées dans un tourbillon de préparatif pour obtenir des soins à domicile dans la maison de maman. Tenant compte de l'avis des médecins, nous devions aussi nous dépêcher et mettre de l'ordre dans ses affaires. Nous essayions chaque jour d'avaler le choc de cette nouvelle; nos espoirs pour un futur lointain pour maman s'étaient effondrés.
 
J'avais l'impression de vivre un rêve surréel: chaque jour je téléphonais à l'infirmière de l'hôpital afin de m'enquérir à propos des dosages de morphine que je devais administrer à maman et en même temps… j'attendais les appels du traiteur ou du photographe pour la bar mitswa de mon fils.   
 
Le jour où les invitations étaient prêtes, j'allai rendre immédiatement visite à maman, le coeur gros. Pensant à toutes ces brillantes et belles invitations contenues dans plusieurs boîtes dans la voiture, je me mis à pleurer. Roulant le long de l'autoroute, je me demandai comment je pourrais les montrer à maman sans craquer complètement. Je considérai aussi brièvement la possibilité ne pas les lui montrer du tout. Et pourtant comment ne pouvais-je pas les lui montrer?
 
Est-ce que maman – en dépit de ce que le docteur avait dit – ne pouvait pas survivre pour voir le premier de ses petits-fils franchir le cap de la bar mitswa et lire la Tora? D'autre part, les jours qui suivraient la bar mitswa, devrai-je faire chiv'a, ou serais-je entrain de célébrer la semaine de sim'ha?
 
Pendant le trajet, je décidai non seulement de montrer les invitations à maman, mais aussi de continuer à partager mes projets et leur progression. Ma mère était réaliste: elle savait qu'elle ne vivrait peut-être pas pour assister à l'évènement; cependant cela lui fit plaisir de savoir comment les plans progressaient. Durant mes trajets quotidiens pour aller voir maman, je rassemblai le plus de courage que je pouvais pour rester forte en sa présence; je m'autorisai seulement à pleurer lorsque je me retrouvai seule dans la voiture, sur le chemin du retour. La plupart du temps, j'étais capable à m'en tenir à cette façon de fonctionner.
 
La détérioration de l'état physique de maman était rapide et inéluctable. Il semblait de plus en plus évident qu'elle ne pourrait pas vivre jusqu'à la bar mitswa. Bien qu'elle ne m'en ait pas parlé directement, elle confia à l'infirmière qui lui rendait visite tous les jours qu'elle aurait souhaité que je puisse avancer la bar mitswa.
     
Lorsque l'infirmière m'informa combien maman était inquiète à ce sujet, cela m'anéantit. Maman savait qu'il était impossible de l'avancer [Une bar mitswa se célèbre toujours le jour du 13ième anniversaire]. Je savais que nous devions faire quelque chose, mais je ne savais pas quoi. Soudainement, mon mari et moi avons eu la même idée: si maman ne pouvait pas venir à la bar mitswa, nous amènerions une “répétition” de l'évènement à elle.
 
Nous invitâmes la famille entière dans la maison de maman pour un brunch amical et pour écouter notre fils – Avi – lire le passage de la paracha qu'il devait lire le jour de sa bar mitswa. Notre rabbin, Moché Cohen de Aish HaTora de Los Angeles – vint également à notre brunch. Avi – muni de ses tefilines toutes neuves autour de son bras et de sa tête – expliqua non seulement la signification profonde des téfilines, mais offrit également un passage du commentaire de la parachaVaèt'hanan”.
 
Dans cette paracha, Moché rappelle sa déception suite au refus de D-ieu de lui permettre d'entrer sur la Terre d'Israël, en dépit de sa fervente demande. Prier ardemment pour quelque chose qu'on désire de toutes ses forces et ne pas recevoir la réponse qu'on attendait est un sentiment que je pouvais comprendre, particulièrement à cet instant. Une fois encore, la Tora – âgée de 3000 ans – résonna ce jour-là dans ma propre vie, d'une manière encore plus profonde que je pouvais l'imaginer.      
 
Ce fut une très bonne idée d'avoir organisé rapidement ce brunch. Si on avait attendu une semaine de plus, maman aurait été trop faible pour apprécier ce qui se passait autour d'elle. Nous avons pris nos dernières photos avec elle et la famille ce jour-là, mais je ne les regarderai pas souvent, préférant les photos d'avant, celles qui reflètent l'esprit et le rayonnement de sa vie. 
 
Maman nous a quitté deux semaines avant la bar mitswa de Avi. Ma semaine de chiv'a (deuil) coïncida avec les neuf premiers jours du mois juif de Av (juillet/août) qui est une époque historiquement tragique pour le peuple juif. Quand je finis chiv'a, je me hâtai de terminer tous les derniers préparatifs pour la bar mitswa: le menu, l'arrangement des places, la préparation des costumes, etc. 
 
La bar mitswa eut lieu le Chabath Na'hamou, le premier Chabath après Tich'a BeAv. Ce Chabath-là, nous lisons la Haftara extraite du livre de Isaïe. Dans cette haftara, nous apprenons que D-ieu promet de consoler le peuple juif pour toutes les tragédies qu'il a connues: "Console, console mon peuple, dit ton D-ieu." Avi lut d'une façon admirable et la promesse de consoler la perte de ma mère – ainsi que la douleur de mon peuple – raisonne encore dans mon coeur et dans ma tête.
 
Beaucoup d'amis m'ont offert leur réconfort avant et après le décès de maman, m'assurant qu'elle serait à la bar mitswa, malgré tout. Je sais qu'ils avaient raison. Cette journée ne pouvait pas ne pas être douce-amère pour nous, mais notre peine fut compensée par la joie de voir mon fils passer à l'âge adulte – selon la Tora – et par le sentiment fort que l'esprit de maman remplissait la salle, émanant de sa place bien méritée dans le monde à venir.    
  

 


 

Judy Gruen est écrivain à Los Angeles et mère de quatre enfants. Elle est l'auteur de  "Car pool Tunnel Syndrome: Motherhood as Shuttle Diplomacy," disponible dans les librairies et  Amazon.com.
 

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