Panique à Schwindratzheim !

“Où est Jacob ?” Chacun se disait qu'il n'avait pas pu disparaître, il avait dû rentrer chez lui. La femme de Löwel ne l'avait pas vu non plus et elle se mit à pleurer…

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Alain Kahn

Posté sur 02.06.22

Moché habitait le village de Schwindratzheim – près de la commune de Hochfelden – au cœur de l’Alsace. En cette année 1910, il n’y avait plus qu’une quinzaine de juifs dans le village. La petite communauté juive avait du mal à se maintenir car le minyan était de plus en plus difficile à obtenir. Moché dit à sa femme Jeddele que pour Chavou’oth, il faudrait organiser chez eux la soirée d’étude traditionnelle en l’honneur du don de la Tora qui est célébré à cette occasion sept semaines après la sortie d’Égypte fêtée à Pessa’h (la Pâques juive).

Ils estimèrent ensemble qu’une dizaine de leurs coreligionnaires viendraient à la maison puisque Yossef et sa femme étaient souffrants, que ‘Hanna ne se déplaçait plus et que la famille Schiller se rendait toujours chez leurs parents – dans la ville de Bouxwiller – pour Chavou’oth.
Jeddele prépara donc le buffet qu’elle devait servir après la soirée d’étude et, comme le veut le minhag judéo-alsacien, la tarte au fromage était bien évidemment à l’honneur. À Chavou’oth, tous les mets doivent être à base de laitages : en hébreu “‘halav” (le lait) a une valeur numérique de 40, comme les quarante jours au cours desquels Moïse était monté sur le Sinaï pour recevoir la Tora, elle-même comparée au lait.
Jeddele respectait également une autre tradition alsacienne en faisant cuire le “Kolètche”, une brioche au beurre fourrée d’une pâte d’amandes. “Kolètche” vient de l’expression déformée de “Kol Ech” (d’après le regretté grand Rabbin Abraham Deutsch) qui veut dire – en hébreu – la “voix du feu” telle qu’elle est décrite dans la Tora au moment de la révélation de la loi. De plus, Jeddele était célèbre dans le village pour ses fameux beignets au “biebeleskäs”, les beignets fabriqués avec une pâte dans laquelle elle intégrait du fromage blanc et qui rendait cette spécialité vraiment onctueuse.
Une discussion animée
 
L’office du premier soir de Chavou’oth eut lieu à la synagogue qui avait été construite en 1830, alors que la communauté était forte de plus de soixante-dix personnes. Elle existait depuis la deuxième moitié du 18ième siècle. En 1784 on y comptait environ quarante-deux âmes, mais son déclin s’était confirmé en 1882 puisqu’elle ne comptait plus que quarante-et-une personnes. La synagogue n’était plus en très bon état mais les offices pouvaient quand même s’y dérouler.
À la fin de l’office, Moché emmena tout le monde vers sa demeure et chacun s’installa autour d’une table superbe sur laquelle se trouvaient deux tartes au fromage bien épaisses, deux “kolètches” bien dorés et trois petits paniers pleins de beignets au “biebeleskäs”. Tous les invités étaient au rendez-vous et Löwel était venu sans sa femme qui s’était fait une entorse. C’était son fils de dix ans, Jacob, qui l’accompagnait car sa mère, dans son état, ne pouvait pas très bien s’occuper de lui !
Après la soirée d’étude – auquel chacun essayait de participer tant bien que mal en lisant certains passages de la Tora Moché récita le Qidouch, la sanctification de la fête par une coupe de vin et avec deux pains. Les convives purent alors déguster les plats succulents qu’ils dévoraient déjà des yeux pendant toute la durée de l’étude. Moché rappela bien sûr que seuls ceux qui n’avaient pas oublié de compter l’‘Omer ”, jour après jour pendant les 49 jours qui séparent Pessa’h de Chavou’oth, avaient droit de participer à la dégustation et personne ne se risqua à dire qu’il avait oublié, ne serait-ce qu’une fois, de compter.
Autour de la table, une discussion plus animée que d’autres eut lieu sur le devenir de la synagogue. Il fallait bien constater que personne ne voulait vraiment s’engager pour la remettre en état et les autorités en place à ce moment-là faisaient la sourde oreille. Les convives ne pouvaient pas imaginer que douze ans plus tard “leur” synagogue serait démolie faute de fidèles.
Un panier disparu
 
“Où est Jacob ?” L’appel de Löwel résonna dans toute la pièce provoquant une angoisse immédiate. Jacob avait disparu, personne n’avait fait attention à lui. Löwel tremblait, sa femme lui avait confié leur enfant et maintenant il ne savait plus où il était. Chacun se disait qu’il n’avait pas pu disparaître, il avait dû rentrer chez lui. Malheureusement la femme de Löwel ne l’avait pas vu non plus et elle se mit à pleurer d’autant plus qu’elle ne pouvait pas se lever à cause de son entorse.
Löwel, avec ses amis, traversa plusieurs fois le village appelant l’enfant, interrogeant les villageois mais personne n’avait vu Jacob. Le temps passait très vite et il fallait prévenir la police qui s’engagea à poursuivre les recherches toute la nuit. Moché rentra chez lui vers 2 heures du matin et sa femme, inquiète également, rangeait nerveusement ses affaires lorsqu’elle se rendit compte qu’un des paniers dans lesquels avaient été mis les beignets avait purement et simplement disparu !
Quelqu’un a dû l’emmener par mégarde se dit Moché, mais Jeddele ne comprenait pas et cette disparition l’intrigua. Elle se dit que cela avait peut-être un lien avec le petit Jacob.
Elle traversa la maison, descendit à la cave et n’y trouvant aucun indice monta au grenier où là elle découvrit le petit Jacob profondément endormi dans un coin, tenant encore le petit panier vide dans ses mains. Il avait avalé en cachette tous les beignets au “biebelskäs” ! Elle eut du mal à le réveiller et il eut droit à de très fortes remontrances, à des sermons à n’en plus finir, de ses parents, des policiers et de tous ceux qui avaient passé la nuit à le chercher ! À partir de ce jour, l’enfant ne voulut plus jamais entendre parler de ces beignets.
L’année suivante, la soirée d’étude eut lieu chez Löwel, sa femme était cette fois-ci en pleine forme et Jeddele, bien entendu, ne voulut pas leur offrir des beignets au “biebeleskäs” comme elle avait pourtant coutume de le faire.
Devant tous les adultes médusés Jacob lui demanda pourtant :
– Tu n’as pas apporté des beignets ?

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