“Plat” comme une matsa

Dans le combat spirituel, il n'existe que deux directions : celle qui se rapproche de D-ieu et celle qui nous en éloigne. Chaque personne sait…

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David-Yits'haq Trauttman

Posté sur 10.04.22

Le Québec peut être déconcertant pour un européen quand il voit le thermomètre afficher une température glaciale de – 30 C º ? Le climat glacial n’est pas le seul aspect original de la province québécoise. Même si la blanquette de veau n’est pas à rougir de la comparaison avec une bonne « poutine », le goût de cette dernière est une véritable révélation pour un palais originaire du Cantal ou de la Charente ! Le langage et ses particularités sont également remplis d’attrait. Une des expressions favorites des québécois-ses consiste à qualifier un tas de choses – personnes, événements… – de « plat ». Ainsi, on trouvera tel artiste « plat » ; un spectacle tant attendu se sera révélé « plat », etc.
Dans la soirée de Pessa’h, les millions de personnes juives du monde entier célèbreront la fête de Pessa’h (la Pâques juive). Le symbole le plus frappant de cette fête unique est la galette de pain azyme, connu sous le nom hébreu de « matsa ». Sachant que la Pâques juive est l’équivalent du 14 juillet français – la fête nationale annuelle de la nation – on aurait pu s’attendre à un plat plus élaborer de la part d’un peuple qui n’est pas le dernier pour son plaisir à passer à table.
La matsa – pour les personnes qui l’ignorent – est faite d’eau et de farine ; rien de plus, rien de moins. Impossible de faire plus simple. Selon le canon linguistique québécois, il n’existe rien de plus “plat”. Le fait est que la matsa est plate. Faites sans levain, les galettes ne lèvent pas et il n’y a pas à douter du nombre important de fabricants de dentiers qui se frottent les mains – chaque année – à l’approche de la Pâques juive. Croquer à pleines dents dans une matsa n’est pas toujours un geste sans conséquences !
L’importance des matsoth (matsa au pluriel) ne concerne pas seulement les estomacs fragiles et les dentiers mal fixés. Si nous parvenons à percevoir une signification plus profonde dans leur rôle, nous pourrons comprendre la place particulière que la fête de Pessa’h tient dans le calendrier juif.
Une fête nationale… plate !
La plupart des peuples de la planète possèdent leur fête nationale. Qu’il s’agisse du 14 juillet français ou du 4 juillet américain, ces fêtes nationales ont toutes un point commun : l’exubérance qu’on y affiche et les manifestations en plein air de toutes sortes : concerts, défilés…
Le peuple juif semble ne pas avoir compris la mesure de ces fêtes nationales. Tandis que les nations du monde ne ratent pas de se réjouir de leur date de naissance, les membres du peuple juif passent leur fête nationale discrètement autour de leur table et en mangeant des galettes de pain azyme ! Céline Dion le dirait sans ambages : “Quelle fête nationale plate !”
Pourtant, les matsoth sont chargées d’un symbolisme qui leur donne un goût nettement différent de leur composition physique lorsqu’on les met sous la langue. Un aliment rend la matsa inutilisable pendant la fête de Pâques : le levain. Il suffit d’une particule de levain dans une matsa pour que celle soit rejetée d’un revers de main. Quel est l’aspect si terrible du levain pour que chaque matsa doive en être dépourvue si elle désire avoir l’honneur d’être consommée lors de la Pâques juive ?
Le levain est le symbole de la séparation de l’individu de D-ieu. À l’inverse, l’absence de levain signifie que la personne est collée au Divin, au point où son aspect humain puisse s’avérer être un obstacle. Le levain, c’est la présence de tous les doutes et de toutes les questions aux apparences intelligentes relatives au domaine spirituel que nous avons laissés entrer en notre esprit. Celles-ci entrent dans notre esprit avec l’aspect de simples interrogations. Pourtant, avec le temps qui passe, ces interrogations prennent de l’ampleur, elles “lèvent”, et deviennent des véritables obstacles à notre rapprochement de D-ieu. Une personne dépourvue de levain – plate comme une galette de pain azyme – est celle dont la foi est totale, sans l’ombre d’un doute, absolue.
Le soir où le peuple juif se réunit – chaque maisonnée autour de la table familiale – nous désirons afficher notre volonté d’être “sans levain”, sans doute à propos de l’existence de D-ieu, sans zones grises dans notre émouna (foi). C’est pour cela que les matsoth sont essentielles à la fête de Pâques. Sans elles, c’est l’individu qui s’oppose au Maître du monde avec ses propres pensées, ses propres idées… Les matsoth sont présentes afin de nous rappeler que notre existence ne doit posséder qu’un seul objectif : celui de révéler la présence de D-ieu dans notre monde.
Être plat, et s’efforcer de le rester
Nous comprenons maintenant ce qui nous sépare du peuple québécois, en plus de la température glaciale du Grand nord. S’il est peu honorable d’être qualifié de “plat” dans la banlieue de Montréal, chaque juif doit prier le Maître du monde pour rester “plat” toute sa vie. Cela doit même être l’objectif de la vie de chaque personne juive : ne pas exister, au point d’être complètement “plat”.
Dans ce jeu de combat spirituel, il n’existe que deux directions : une nous rapproche de D-ieu, tandis que l’autre nous en éloigne. Chaque personne sait le plus souvent si elle est sur le chemin du Divin ou… sur un autre, que D-ieu nous préserve. Chaque fait et geste qu’une personne réalise pour elle-même l’éloignent du Créateur ; à l’inverse, chaque parole, chaque pensée faites au Nom de D-ieu nous en rapproche.
Être plat – à la mode juive – signifie que nous ne faisons pas une certaine action pour notre propre bien, mais parce que cela correspond à la Volonté divine. Quelques fois, nous aimons ce que D-ieu nous demande de faire et nous aurions tort de le regretter. Cependant, l’intensité de notre désir ou de notre volonté ne devrait pas entrer en considération lorsque le moment est venu de faire la volonté de D-ieu.
Cette notion d’effacement – de bitoul en hébreu – est l’idéal du destin de la personne juive. Celle-ci doit se faire petite, un peu plus chaque jour, au point de ne plus exister. Lorsque nous craquons la matsa sous nos dents, nous envoyons un message fort à D-ieu :
Maître du monde, aide-moi à m’annuler, à ne plus exister. À l’image de cette galette que Tu m’as ordonné de manger à Pessa’h, je désire être débarrassé-e de toute forme de levain – de doutes – en mon émouna. S’il m’arrive souvent de m’accorder de l’importance, aide-moi à diminuer mon orgueil, ma vantardise, mon ego.”
La fête nationale juive a pour objectif de déclarer avec force notre attachement à notre Créateur. C’est en l’absence de levain que celle-ci peut être faite avec le plus d’éclat ; c’est pour cela que nous chassons le levain pendant les semaines qui précèdent Pâques. Pas une seule miette ne doit en rester chez nous, en nous. Le ménage de Pâques est d’ordre physique – le balai en est le symbole – et d’ordre spirituel – représenté par la matsa que nous mangeons le soir du Séder.
Bonne fêtes de Pâques à tous et à toutes. Puissions-nous déclarer avec conviction notre amour pour D-ieu ! Amen.
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