Ouman, Roch Hachana… et les femmes

Et nous, les femmes ? Sommes-nous seulement des "chiffons rapiécés" pour qu'on soit abandonnées à la maison ? N'avons-nous pas nous aussi un côté spirituel...

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Debbie Shapiro

Posté sur 06.04.21

Et nous, les femmes ? Qui sommes-nous ? Sommes-nous seulement des "chiffons rapiécés" pour qu'on soit abandonnées à la maison ? N'avons-nous pas nous aussi un côté spirituel qui devrait être développé ? Nos prières ne sont-elles pas importantes ?
 
Ça y est ! Il est parti. Chaque année – avant Roch Hachana – mon mari prépare ses bagages, quitte sa famille et s'envole en destination de la ville d'Ouman, vers la tombe de Rabbi Na'hman. Il y a longtemps, lorsque mon mari et moi nous nous fréquentions en vue de nous marier et que j'étais alors une fidèle “litvak” (terme généralement utilisé aujourd'hui pour décrire quelqu'un qui n'est pas 'hassid), mon mari me fit savoir que son minhag (coutume) consistait à se trouver auprès du “Tsadiq haÉmeth” (le vrai Tsadiq), pendant Roch Hachana. Bien que je voyais cela d'un mauvais oeil, je l'aimais suffisamment pour passer outre et me marier avec lui.
 
À cette époque, le kibboutz (rassemblement) de Roch Hachana à Ouman n'était rien d'autre qu'un rêve apparemment impossible. Personne ne pouvait s'imager que le “rideau de fer” disparaîtrait un jour dans l'oubli. De ce fait, au lieu d'aller en Ukraine, les hommes allaient à Méron sur la tombe de Rabbi Chim'on bar Yo'haï, l'auteur du Zohar – un vrai tsadiq, un tsadiq haÉmeth
 
Je me souviens que la première année, je m'étais sentie comme blessée. Mon mari était parti camper, il prenait du bon temps en me laissant à la maison toute seule ; pour être franche: j'enrageais en silence ! J'enviais les jeunes couples que je voyais sortir de la synagogue pour rentrer chez eux : ils semblaient si heureux. J'imaginais que mon mari passait de merveilleux moments là-haut dans les montagnes, pendant que j'étais à la maison, seule, misérable. Ma décision était prise : c'était la dernière fois que j'acceptais qu'il fasse un tel voyage !
 
À motsé yom tov (la fin du jour de fête), mon mari est réapparu… éreinté. Quand je lui ai demandé s'il avait eu du bon temps, il m'a regardé comme-ci j'étais un peu folle. "Du bon temps ?" demanda-t-il. “J'ai à peine eu le temps de manger ! La prière a commencé à 5 heures du matin, et on n'a pas fini avant presque 4 heures de l'après-midi ! J'étais tellement occupé avec les prières et la lecture des Tehilim (Psaumes) que j'ai tout juste dormi 3 heures dans la nuit."
 
J'étais désolée pour lui.
 
"C'est terrible. Quelle déception" commençais-je, essayant de sembler emphatique (bien que personnellement, je ne pouvais m'imager pour quelle raison quelqu'un pouvait décider de se faire subir une telle torture).
 
"Quelle déception ? Ce fut vraiment la plus merveilleuse expérience au monde !" me répondit-il. Je pouvais ressentir son ivresse.
 
J'étais totalement confuse. Si ce n'était pas agréable, de quelle façon cela pouvait être merveilleux ? M'étais-je mariée avec une espèce de masochiste ?
 
Roch Hachana est une affaire sérieuse
 
Rabbi Nathan a dit : Le vrai commencement est à Roch Hachana. La vitalité et le tiqoun (rectification) pour l'année entière sont décidés à Roch Hachana. C'est la raison pour laquelle on dit Roch Hachana, car 'roch' signifie 'la tête'."
 
On a tendance à croire qu'un yom tov (un jour de fête juive) doit être un moment familial, un moment où l'on s'assoie autour de la table et où l'on passe des moments privilégiés ensemble, un temps où l'on étudie la Tora, où l'on se promène, où l'on chante des zémiroth (chansons). De fait, la majorité des yomim tovim sont vraiment des moments pour la famille. Le yom tov est décrit comme étant “zman sim'haténou” – un temps pour être heureux et se réjouir. Cependant, même si Roch Hachana et Yom Kipour sont des yomim tovim, ils n'entrent pas dans la catégorie du “zman sim'haténou”. Roch Hachana et Yom Kipour sont des jours différents qui sont consacrés au dur travail de la prière.  
 
Dans les synagogues orthodoxes, les hommes et les femmes sont séparés. C'est justement parce que la prière est une affaire sérieuse. La synagogue n'est pas un lieu de socialisation consacré à "un moment familial spécial". La synagogue est le lieu pour communiquer avec notre Créateur. Prier est un réel "travail", un travail dur. En fait, le mot “'avoda” (travail), est utilisé de façon interchangeable avec le mot “tefila” (prière).
 
Lorsque j'ai découvert cela, j'ai compris la réponse de mon mari. Roch Hachana n'est pas un temps pour "prendre du plaisir". Roch Hachana est un jour totalement consacré à la prière. C'est un jour de dur labeur – le dur labeur de la prière ! (Existe-t-il quelque chose de plus grisant que de travailler dur et d'accomplir quelque chose ?)
 
Tout est décidé à Roch Hachana : qui vivra, qui mourra, qui sera en bonne santé, qui sera malade, qui sera riche, qui perdra sa fortune. Pour un jour si crucial, il n'est pas difficile de comprendre la raison pour laquelle une personne désire se trouver dans un lieu où elle peut atteindre le maximum de résultats avec sa prière, et où elle peut prier avec le maximum de qavana (concentration).
 
Rabbi Na'hman a écrit : "Seulement les tsadiqim de chaque génération comprennent la prière" (Liqouté Moharan 141). En s'attachant au tsadiq, on démontre vraiment qu'on est prêt à accepter l'enseignement de celui-ci. Accepter son enseignement est un réel acte d'humilité : cela prouve qu'on comprend – réellement – qu'on ne sait pas tout. Et l'humilité est un prérequis pour une prière adéquate. Après tout, comment peut-on faire entrer D-ieu dans notre vie, si nous n'avons pas de place pour Lui, si le "je" au fond de moi est si grand que l'on ne peut admettre qu'on n'est pas l'autorité ultime dans le monde ?
 
Selon le judaïsme hérité de la Tora, chaque personne est entraînée vers un chemin spirituel qui correspond à sa néchama (âme) qui est unique. Lorsque l'homme de notre vie découvre qu'être breslev est le chemin de “notre” vie, en tant que partenaire et épouse loyale, c'est notre privilège de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le seconder sur ce chemin. Cela est encore plus vrai pour Roch Hachana, lorsque notre mari implore Hachem. Toutes les prières qu'il prononce au cours de la journée ne sont pas seulement pour son bien-être personnel, mais aussi pour celui de sa famille, ainsi que pour le bien-être du peuple juif dans son unité. C'est pour cela que nous devrions comprendre l'importance qu'il soit dans un lieu où ses prières pourront avoir le maximum d'efficacité. Cet endroit possède son maître spirituel : Rabbi Na'hman à Ouman. D'ailleurs, à propos du rassemblement de Roch Hachana, Rabbi Na'hman a lui-même a dit : "Personne ne doit manquer." (Tsadiq 404). 
 
Et nous les femmes?
 
Et nous les femmes ? Sommes-nous justes des "chiffons rapiécés"  pour être abandonnées à la maison ? N'avons-nous pas un côté spirituel qui doit aussi être développé ? Nos prières ne sont-elles pas aussi importantes ?
 
On peut répondre à ces questions à différents niveaux. Cependant, plutôt que de vous affliger d'un discours philosophique, il est préférable que je vous fasse part de mon expérience personnelle.
 
La relation qui existe dans un couple – entre mari et femme – est suffisamment complexe pour qu'elle mérite notre effort d'aménager des périodes spécifiques de “séparation” physique. Ces “séparations” sont propices à une réflexion profonde sur l'état véritable de notre rapport avec notre conjoint. En l'absence de telles périodes de réflexion, nous avons tendance à croire que tout va toujours pour le mieux. De fait, en étant ensemble – tous les jours de l'année – il n'est pas facile de réaliser pleinement la direction vers laquelle notre couple se dirige ; les domaines qui méritent une attention plus particulière de notre part… et ceux pour lesquels nos pouvons afficher une certaine satisfaction.  
 
Au fil des années, j'ai appris à mettre en valeur les voyages de mon mari à Ouman et à considérer ces périodes de l'année comme un temps privilégié pour l'introspection. Les rapports entre un mari et une femme prennent du temps pour réussir. Lorsque mon mari est parti, je suis beaucoup moins occupée et j'ai donc plus de temps à consacrer à mon "'avoda" personnel. Il est exact que pendant son absence, mon mari me manque. Cependant, j'apprécie ces moments passés seule, ces moments passés à communiquer avec mon Créateur. J'en profite pour faire l'inventaire de ce que j'ai mal fait, de ce que j'ai besoin de changer, là où j'ai grandi spirituellement et là où j'ai encore tellement de travail à fournir. C'est en partie grâce à ces moments que je peux accueillir la nouvelle année correctement.     
 
Et le reste de la famille ? Lorsque mes enfants étaient jeunes, j'invitais des amies – avec leurs enfants – à se joindre à nous pour les fêtes. On partageait les plats à cuisiner, et on passait de bons moments ensemble. Il y avait toujours un merveilleux sentiment d'amitié et d'unité, en plus des prières édifiantes et les moments d'hitbodedouth. Les enfants passaient de bons moments ensemble ! 
 
Aujourd'hui, mes filles mariées viennent avec leurs enfants pour notre rassemblement familial de Roch Hachana. Les cousins sont impatients : c'est rare pour eux de passer plus de quelques heures ensemble. Mes filles partagent la cuisine à faire, le nettoyage et le baby-sitting ; ainsi, chacune d'entre nous peut savourer un moment privilégié à la synagogue, sans avoir à s'inquiéter pour les enfants. C'est quelque chose qu'on attend avec impatience ! Ainsi, même si nous souhaitons que nos maris s'envolent vers Ouman pour aller offrir leurs prières à Rabbi Na'hman, nous aussi, nous nous relions à un degré profond au vrai tsadiq.
 
Puissions-nous tous avoir une bonne et douce année, et que l'on soit tous inscrits dans le livre de la vie.

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