Au pays des aveugles…

Je me retrouvai plongée dans un monde d'obscurité et je ressentis immédiatement un sentiment de vulnérabilité ; j'étais sans defense...

7 Temps de lecture

la Rabbanite Shaindel Moscowitz

Posté sur 06.04.21

Permettez-moi de me présenter : je suis la femme du Rav de Melitzer. Mon mari, en plus d'être un Rav et un posseq (décisionnaire de la loi juive), est également un Rabbi. Il existe une grande différence entre un Rav et un Rabbi. Le plus souvent, une personne est l'un ou l'autre. Dans le cas de mon mari, il est les deux.

En sa qualité de Rav, mon mari répond aux questions qui concernent la halakha (loi juive) : telle ou telle chose est-elle kachère ? Peut-on faire ceci ou cela ? Etc. Le nombre de questions qui préoccupe une nation sainte est infini.
 
Nous sommes “de service” à partir de 7H45 le matin et jusqu'à minuit chaque jour. Tous les jours de la semaine, jusqu'à l'heure de l'allumage des lumières de Chabath et cinquante-deux semaines par an. Dès que Chabath est terminé, le téléphone se remet à sonner… jusqu'au vendredi soir suivant. Pour les urgences (et pour les personnes qui ne savent pas respecter la vie privée des autres), nous sommes de service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Évidemment, vous pouvez compter sur nous le Chabath et les Yomim Tovim (les jours de fête).
 
Je ne me lasse jamais de constater l'aspect merveilleux du Klal Israël (du peuple juif). Le type de questions que nous recevons montre l'amour du peuple juif pour les mitswoth d'Hachem et son désir de suivre les instructions divines d'une façon la plus parfaite possible. Il est toujours fascinant de voir la peur qu'ont les personnes de faire quelque chose qu'elles n'auraient pas dû ; le peuple juif est très exigeant dans sa pratique religieuse. Où peut-on trouver une autre nation aussi formidable qui, après deux mille années d'exil et de tribulations, court encore après D-ieu et désire ardemment se coller à Lui ? Ce ne serait-ce que pour cela, nous méritons que D-ieu fasse venir Machia'h (le Messie) IMMÉDIATEMENT !!
 
Plus que toutes les autres, ce sont sans doute les questions quelques jours avant Pessa'h (la Pâques juive) qui sont les plus révélatrices. Notre peuple est tellement zélé, qu'en voyant les efforts qu'il fait pour se débarrasser du 'hametz (aliment fermenté) on pourrait penser qu'à l'approche de la Pâques, le plus grand ennemi de notre peuple est attaqué et sorti manu militari de nos maisons. Rien ne procure à mon mari et à moi-même plus de plaisir que de relever l'aspect unique et merveilleux du peuple juif.
 
Parce qu'il est un Rabbi, de nombreuses personnes viennent voir mon mari afin de lui demander une bénédiction, ses conseils pour une guérison, son aide face aux difficultés de la vie… Notre famille a entendu maintes fois les récits du pouvoir des bénédictions du Rav : des personnes gravement malades ont été guéries, des problèmes qui semblaient insurmontables ont été résolus, des personnes dont la vie paraissait être un cauchemar ont retrouvé le bonheur et la joie. Même si les malheurs du peuple juif nous font beaucoup de peine, nous retirons une grande satisfaction à savoir que l'aidons – du mieux que nous le pouvons – dans les différentes situations de la vie.
 
La méthode du Rav pour venir en aide aux personnes qui en ont besoin est la suivante : premièrement, la personne qui a besoin d'aide donne la tsédaqa (charité) au Rav qui la distribue parmi les familles pauvres. Ensuite, le Rav prie pour la yéchou'a (le salut) de la personne. Ces deux aspects de l'aide vont ensemble : la tsédaqa et la prière sont des armes extrêmement puissantes dans le Ciel. Ces armes rencontrent souvent le succès sur leur chemin. Le montant que le Rav demande pour la tsédaqa varie en fonction de la situation de chaque personne. Lorsque nous voyons qu'une personne se trouve dans une situation financière difficile, nous demandons un montant minimum. À l'occasion, ce qui me dérange est d'assister au comportement de certaines personnes qui d'une part, supplient le Rav de leur accorder son aide et d'autre part, marchandent sur le “prix” fixé par mon mari. (Sans doute, ces personnes pensent qu'elles se trouvent au marché et qu'elles peuvent faire baisser le prix à leur avantage.)
 
Également, je suis très peinée lorsque certaines personnes profitent du Rav. Certaines abusent de son aptitude et de sa volonté d'aider tout le monde ; baroukh Hachem, cela n'arrive pas souvent. De fait, l'immense majorité des personnes que nous avons aidées sont extrêmement reconnaissantes. Cependant, d'autres ne semblent avoir aucune idée du comportement à adopter devant le chalia'h (le messager) d'Hachem qui les a aidées dans leurs moments difficiles.
 
Je me souviens particulièrement d'un incident malheureux dans lequel une femme m'a conspuée pendant dix minutes. Cette jeune personne avait une vie réellement difficile et le Rav l'avait rencontrée à plusieurs occasions. À chacune de ces rencontres, mon mari avait multiplié ses prières pour venir à son aide et – baroukh Hachem – le Rav avait été couronné de succès de nombreuses fois. Un nombre important des problèmes de la jeune femme avaient disparu par eux-mêmes ou avaient pu être résolus.
 
Un certain jour, cette jeune personne qui avait bénéficié des services du Rav (je me souviens d'un de ses enfants qui avait été sauvé d'un coma profond après que mon mari ait prié pour la petite fille) était venue une fois encore pour demander l'aide du Rav ; sans hésiter, je lui ouvrai la porte de notre maison. Elle commença à me dire combien elle était reconnaissante envers le Rav pour tout ce qu'il avait fait pour elle ; ensuite, elle m'expliqua la nature de son problème présent. Lorsque je lui rappelai qu'un des aspects du salut consiste à donner une certaine somme d'argent pour la charité, son comportement changea immédiatement.
 
Son visage devint rouge et elle commença à me conspuer en me disant que j'essayais toujours de lui soutirer de l'argent et qu'elle trouvait cela honteux venant de ma part. Tous mes efforts pour la calmer en lui expliquant que le concept de charité représente une part importante du salut et que nous ne demandons pas l'argent pour nous-mêmes ne servirent à rien. Elle continuait à me conspuer en me disant que nous étions des extorqueurs. En fin de compte, elle finit par me donner le montant que nous lui demandions en me disant qu'elle n'avait pas d'autre choix que d'accéder à ma demande injuste. Je me sentais réellement désolée pour elle et après quelques minutes, je lui dis que sans doute, il serait bon qu'elle aille chez elle afin de se calmer et de revenir un autre jour. Elle quitta ma maison en murmurant que la rabbanite essayait toujours de voler l'argent des gens.
 
Après son départ, un sentiment extrêmement désagréable m'envahit : celui d'avoir été coupable de lui avoir soutiré de l'argent contre son gré. Je m'assis dans le but de recouvrer mes esprits en buvant une tasse de thé. À vrai dire, une seule tasse ne suffit pas et il me prit plus de temps que je ne pensais pour recouvrer un semblant de calme. Je me remémorais cet incident fâcheux en pensant à cette jeune femme qui, visiblement, avait une compréhension très limitée du salut important qu'elle pouvait obtenir à un moindre coût. La plupart des personnes sont prêtes à payer rubis sur l'ongle un docteur pour obtenir un remède “miracle.” À plus forte raison seraient-elles prêtes à payer une somme importante pour celui qui leur promettrait de ressusciter leur enfant ou pour soigner une personne gravement malade. Pense-t-on au prix que demande le moindre spécialiste pour une guérison qui n'est même pas assurée ? Cependant, lorsqu'il est question de payer un spécialiste dans le domaine spirituel que ces personnes décident d'aller voir de leur propre chef afin de régler quelques problèmes d'importance, la moindre somme à payer devient problématique. Pour quelle raison ?
 
Tandis que je pensais à cette jeune femme, je me mis à penser à moi-même en me demandant si en fin de compte, j'étais très différente – et meilleure – que cette personne. Moi aussi je prends pour acquis ce qu'Hachem m'a accordé (entre autres choses ma santé et ma famille) ; moi aussi je me “plains” à Lui en disant souvent que je ne suis pas satisfaite. Plus mes pensées se développaient en mon esprit, plus je me sentais mal à l'aise. Il me semblait que je n'arriverai jamais à me séparer de ma tasse de thé (je ne vous dirai pas combien j'en bus ce jour-là !).
 
Après un certain temps, j'en vins à la conclusion que je devais faire techouva (me repentir) pour mes points faibles. À cette fin, je décidai d'améliorer ma prise de conscience de tout ce qu'Hachem avait fait pour moi jusqu'à ce jour. Je décidai que pour comprendre la véritable dimension de la gentillesse de D-ieu à mon égard, je devais imaginer ce que voudrait dire vivre sans l'ensemble de mes capacités physiques.
 
Pour cette “expérience”, je choisissais de voir la façon dont je pourrais vivre en l'absence de trois choses : la vue, pouvoir marcher et utiliser mes mains afin de tenir des objets. J'avais choisi ces trois choses car elles ont un immense impact dans notre vie quotidienne et j'étais certaine qu'il ne serait pas facile de vivre sans. (En fait, “pas facile” s'avéra être largement en-dessous de la réalité !)
 
La première partie de mon expérience consistait à me priver de la vue. À cette fin, je me bandai les yeux en utilisant un torchon à vaisselle. Auparavant, j'avais essayé de mémoriser où se trouvait la plupart des objets qui encombrent le comptoir et les placards de ma cuisine. (Je sais, cela ressemble à tricher avant même de commencer.)
 
Dès l'instant où mes yeux furent couverts, et avant même que j'essaie de faire le moindre mouvement, je me retrouvai plongée dans un monde d'obscurité et je ressentis immédiatement un sentiment de vulnérabilité ; j'étais sans défense contre le monde qui m'entourait.
 
Après avoir pensé quelques instants à la “réalité” de ne jamais plus pouvoir recouvrer de ma vie l'usage de mes yeux, je me levai de ma chaise et commençai à marcher lentement et avec beaucoup d'hésitation. Je me dirigeai vers le comptoir de ma cuisine à une allure de tortue et en essayant de sentir avec mes pieds si un obstacle pourrait me faire tomber. À l'aide de mes mains que j'avais étendues devant moi, je cherchais désespérément à atteindre le comptoir.
 
Au moment où je sentis le bord du comptoir, je ressentis un coup assommant sur ma tête : j'avais oublié de fermer une des portes des placards de la cuisine et celle-ci fut à deux doigts de me jeter à terre. Le mal de tête immédiat que je ressentis fut sévère. Il me fallut bien une ou deux minutes pour me remettre de mes émotions. Ensuite, je commençai à tourner vers la gauche afin de me diriger vers l'entrée de la cuisine. Je marchai toujours très lentement et je faisais attention à ce que ma main ne quitte pas le bord du comptoir. Je sentis que j'atteignis le réfrigérateur. Je n'avais jamais accordé autant d'importance aux indications que m'envoyaient mes mains.
 
Je savais que lorsque je dépasserai le réfrigérateur, je me trouverai dans l'encadrement de la porte de la cuisine. Lorsque cet instant arriva, je me dirigeai droit devant, en direction de la porte du hall. Malheureusement, j'avais oublié qu'il fallait obliquer d'un pas vers la gauche pour se retrouver exactement en face de la porte du hall. Suite à cet oubli, je me heurtai soudainement à la porte qui se trouvait devant moi. Après cette nouvelle déception, je parvins à trouver mon chemin pour atteindre l'entrée du hall. Je savais qu'il me restait à tourner vers la gauche pour pouvoir me diriger tout droit vers le corridor et les chambres à coucher.
 
Cependant, après ma “rencontre” avec la porte du placard de la cuisine, j'avais réellement peur d'être la victime d'autres obstacles qui pourraient me faire tomber et même me blesser. Également, je devais m'avouer qu'en fin de compte je n'étais plus très sûre de savoir avec certitude où je me trouvais. Étais-je vraiment dans le hall ou… dans le garage ?  
 
Je décidai que mon expérience avait suffisamment duré (après seulement quatre minutes, dont deux passées à essayer à oublier mon mal de tête !!!)… et j'enlevai donc le bandeau qui était sur mes yeux. À ma grande satisfaction…
 
JE POUVAIS VOIR DE NOUVEAU !!!
 
À suivre.

Ecrivez-nous ce que vous pensez!

Merci pour votre réponse!

Le commentaire sera publié après approbation

Ajouter un commentaire