Les larmes de Léa

Un soir, alors que je regardais la télévision, une image de Jérusalem apparut à l'écran. Je commençais à pleurer et pendant presque deux heures je n'ai fait que pleurer.

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Carol Ungar

Posté sur 06.04.21

Un soir, alors que je regardais la télévision, une image de Jérusalem apparut à l'écran. Je commençais à pleurer et pendant presque deux heures je n'ai fait que pleurer et pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi, mais après ça je dis à mon mari que nous allions en Israël.
 
 
Certaines de mes amies disent qu'elles sont devenues émotives lors des fêtes de fin d'année dans les jardins d'enfants. Je ne suis pas quelqu'un qui pleure en public. Je n'ai d'ailleurs jamais de mouchoir dans mon sac. Mais cette année, j'ai quitté la fête de fin d'année en larmes.
 
La fête commença en retard, comme d'habitude. Je suis pourtant arrivée dix minutes après le temps indiqué sur l'invitation dans l'espoir d'éviter l'inévitable attente. Après avoir photographié les participants et avoir échangé quelques bonjours avec la maîtresse et les autres mères, je me suis installée sur une petite chaise conçue pour un enfant de cinq ans; j'espérais que les festivités commenceraient sous peu.
 
Une femme s'assit à côté de moi. Grande, au teint pâle, des yeux bleus et une perruque blonde, Léa avait un peu de difficulté à faire tenir sa longue et maigre silhouette sur la petite chaise. Pourtant, elle réussit à dégager une aura de confort pendant que moi de mon côté je commençais à être gênée. Cela faisait maintenant vingt minutes que nous avions dépassé l'heure indiquée sur l'invitation et la cérémonie n'avait toujours pas commencée.
 
Bien que Léa parlait un parfait hébreu, elle n'était pas d'origine israélienne. Elle avait émigré de Russie, il y a une dizaine d'années. Comme nous étions assises côte à côte à attendre, j'essayais de l'imaginer en petite fille russe avec un grand noeud blanc dans ses cheveux blond et un bandana rouge autour de sa nuque.
 
"Comment avez-vous fait pour vous retrouver ici?” demandais-je. 
Je ne voulais pas sembler curieuse, mais comme je pensais à la vie de Léa avant son arrivée en Israël, la question sortit involontairement de ma bouche.
 
De la réponse, je compris qu'elle ne considérait pas ma demande comme indiscrète. Bien au contraire, elle y fit un bon accueil.
 
"Nous vivions à Moscou" répondit-elle. "Nous vivions confortablement. Mon mari était chargé de cours à l'université et j'avais un poste à responsabilité dans une maison d'édition. Nous envisagions de partir pour aller vivre aux États-Unis. Toute notre famille était là-bas et nous souhaitions les rejoindre."
 
"Nous avions fait notre demande pour les visas et à chaque fois notre demande était refusée. Un soir, alors que je regardais la télévision, une image de Jérusalem apparut à l'écran. Je commençai à pleurer et pendant presque deux heures je n'ai fait que pleurer et pleurer. Je ne comprenais pas pourquoi, mais après ça je dis à mon mari que nous allions en Israël."
 
"Aucun de nous deux n'avions de la famille ici et nous savions que nous aurions de la difficulté à trouver du travail. En dépit de ces obstacles, mon mari accepta. Nous sommes arrivés en Israël peu de temps après. Nous avons commencé à découvrir notre héritage et nous sommes devenus religieux. Nous avions le sentiment que Hachem nous tenait la main", se souvient Léa.
 
Je pouvais entendre les choeurs d'accordéon. Les enfants prirent leur place dans le centre de la classe portant sur leur tête les couronnes d'or, découpées en formes de rouleaux de Tora.
 
Ils commencèrent à chanter "Tora tsiva lanou Moché moracha kéhila Ya'aqov."  "La Tora  nous a été commandée par Moché, en héritage des tribus de Ya'aqov."
 
Nous observions nos petits garçons chanter ces mots d'une façon si naturelle, sans effort. Je pensais à Léa pleurant devant  son poste de télévision à Moscou et mes yeux commencèrent à se remplir de larmes. Tout le monde semblait calme et insensible. Je plaçais ma caméra tout près de mon visage afin de cacher le fait que j'étais entrain de pleurer.
 
Je jetais un regard furtif vers Léa. Je pensais au chemin que lui avaient fait prendre ses larmes: à travers les continents et de retour vers une manière de vivre ignorée de sa famille durant presque un siècle. J'observais nos fils, son Yossef tout blond et mon Yossef brun, jeunes arbres au milieu d'un jardin de Tora, arrosés par les larmes de leurs mères.
 
Malgré mon malaise à pleurer en public, j'étais heureuse de voir que l'émotion était présente. Je voudrais tellement que ces larmes me nourrissent et qu'elles finissent – un jour ou l'autre – à nourrir également mon fils.
 
Avec le temps, je devrais apprendre à montrer un peu plus mes sentiments. À la prochaine fête de fin d'année, j'emporterais peut-être un paquet de mouchoir en papier.

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