Suis-je chrétien ?

Ce rêve fut d'une telle force que je ressentais au fond de moi qu'il était vrai : j'allais mourir. C'est ce qui serait arrivé – ma mort spirituelle – si je n'avais pas pris en considération ces premie

7 Temps de lecture

Shlomo Brunell

Posté sur 06.04.21

La vie est remplie de départs et d’arrivées, d’au revoir et de bienvenue. Nous avions à peine récupérés de notre triste départ de Finlande, lorsqu’un accueil chaleureux et joyeux nous attendait à Brisbane. La réunion de départ avec Gunlis, la sœur de Runa, son mari Gunnar et les membres de leur famille fut rapidement suivie par une réunion de bienvenue à la chapelle finlandaise de Bunya Street qui avait été organisée par les membres de notre nouvelle paroisse.

Le président de la congrégation était un fermier de canne à sucre ; son nom état “Paavo”, mais en anglais, on l’appelait “Bob.” Même s’il avait quitté sa terre natale une trentaine d’années auparavant dans sa jeunesse, il parlait la vieille langue finlandaise. Son discours était étonnant et rude, mais direct.
 
“Ceci est un endroit difficile. Nous sommes une petite congrégation avec des moyens limités. Cependant, nous apprécions à sa juste valeur votre venue et nous ferons tout notre possible pour nous assurer que vous et votre famille puissent être heureux ici,” Paavo déclara.
 
Son attitude était typique de celle de ses compatriotes et de la congrégation. Celle-ci était constituée de travailleurs, de fermiers et de miniers. L’immense majorité était âgée de plus de cinquante ans. La congrégation n’hésitait pas à contribuer financièrement d’une façon généreuse pour son prêtre ; en retour, elle attendait ne pas être déçue de ses services. Pour ma part, j’étais déterminé à faire de mon mieux, même si je ne savais pas exactement ce qu’on attendait de moi, en dehors des services pastoraux.
 
Nous commençâmes notre nouvelle vie à Brisbane avec quelques difficultés ; il ne fut pas toujours facile de s’adapter à un environnement aussi peu familier et si éloigné de ce que nous étions. Pour nous, l’Australie était un monde entièrement nouveau. Les plus âgées de mes filles débutèrent l’école immédiatement. Linda, la plus âgée, prit la responsabilité de tracer la voie aux autres. Avec la tête haute, elle se rendit à l’école le premier jour, sans savoir un seul mot d’anglais ! Sara, qui était alors âgée de seulement cinq ans, trouva un certain courage et se rendit également à l’école avec sa grande sœur.
 
Les trois premiers jours d’école, Sara revint à la maison avec des larmes aux yeux. Manifestement, elle n’était pas satisfaite de son sort ; je ne pouvais pas le lui reprocher. Elle ne pouvait pas s’exprimer dans sa classe et elle ne comprenait pas un seul mot de ce qu’on lui disait. Après trois jours, elle s’arrêta soudainement de pleurer. À notre demande, elle nous dit que D-ieu l’avait soudainement aidée après ses prières.
 
Lorsque je pense à ce début d’année scolaire pour mes filles, bien des années plus tard, je me rends compte que cela aurait pu être particulièrement catastrophique. Cependant, mes filles se débrouillèrent au-delà de ce que j’espérais. Caroline et Joséphine eurent un début relativement plus facile. Leur jeune âge leur laissa le temps de s’adonner à leurs jeux d’enfants et elles eurent un délai supplémentaire avant de devoir penser sérieusement à l’école.
 
Pour toutes, il ne fallut pas attendre longtemps avant de les entendre parler anglais entre elles et aujourd’hui encore, c’est dans cette langue qu’elles s’adressent la parole. À nous aussi elles parlent anglais, même si ma femme et moi leur répondons en suédois !
 
Dans la même rue que notre église luthérienne, se trouvait également une église catholique et une synagogue. S’il m’arrivait de mentionner dans mes conversations que j’étais luthérien, le plus souvent on me répondait : “Qu’est ce que cela signifie ?” La plupart des australiens sont catholiques ou anglicans. Mon travail était assez semblable à celui que j’avais en Finlande, mais le défi était différent. Je découvris rapidement qu’une de mes tâches consistait à trouver des solutions pratiques afin de soulager le fardeau financier de ma congrégation.
 
L’activité qui consiste à lever des fonds était une nouveauté pour moi. En Finlande, chaque congrégation luthérienne est financée par l’État avec les impôts de la population ; évidemment, la situation était différente en Australie. Les méthodes pour lever des fonds sont multiples et variées ; la créativité est la clé du succès. En addition de demander une adhésion annuelle à chaque membre de la congrégation, je me mis à organiser toutes sortes de loteries, bazars, pique-niques…
 
Les loteries étaient un sujet très litigieux. L’Église luthérienne australienne était peu habituée à cette méthode pour lever des fonds. De fait, son attitude fut plutôt réfractaire à cette idée. “Que peuvent bien penser ces finlandais ?!” se demandait-on à propos de ma famille. Cependant, il arriva un évènement spécial qui changea le cours des choses.
 
Le joueur de golf Greg Norman, un des meilleurs au monde à cette époque, a une grand-mère finlandaise ; cette vieille dame venait assister régulièrement à nos offices. Elle habitait à quelques mètres de chez nous. Un jour, elle demanda à son petit-fils de lui donner un de ses gants de golf pour qu’il serve de “premier prix” pour notre loterie. Ce don exceptionnel permit à notre paroisse de lever une coquette somme d’argent cette année-là !
 
Je ne ressentais aucune gêne à travailler comme un leveur de fonds. Cependant, je pensais qu’un prêtre avait d’autres priorités à s’occuper. Une des nouveautés fut d’organiser des services en suédois. De fait, il y avait une large communauté suédoise à Brisbane et celle-ci ne possédait aucun service religieux régulier assuré en suédois. Le suédois est ma langue maternelle et je fus donc extrêmement heureux d’être l’initiateur de ces services.
 
Pour mes paroissiens finlandais, cela signifiait une aide supplémentaire qui entrait dans les coffres de leur paroisse. Conséquemment, mon initiative reçut leur appui inconditionnel. Cette co-existence entre les deux communautés a porté ses fruits et de nos jours encore, des services sont assurés en suédois.
 
Les années passèrent et mon travail continua et se développa. J’entretenais d’excellentes relations de travail avec mes collègues de l’Église luthérienne australienne, même si la plupart du temps, je travaillais seul avec l’aide de ma femme ; celle-ci était évidemment l’organisatrice de l’église. Cet aspect du travail était inhérent à nos fonctions.
 
Le prêtre finlandais le plus proche de nous habitait environ à 1 200 kilomètres, dans la ville de Sydney. Même si je le voyais régulièrement, cela signifiait que nous avions l’occasion de nous voir seulement un ou deux fois chaque année. Le camp annuel d’été était un vrai régal pour toute la famille. Dans la mesure où différentes congrégations étaient impliquées dans l’organisation de ce camp, nous avions l’opportunité de visiter toutes les plus grandes villes d’Australie.
 
Conduire à travers le désert entre les villes d’Adélaïde (la capitale d’Australie) et de Brisbane – sous une vague de chaleur et sans l’air climatisé dans la voiture – est une expérience qu’aucun d’entre nous ne pourra oublier.
 
Mon expérience en Australie fut une expérience réellement agréable. Y a-t-il quelque chose dans cette expérience qui pourrait expliquer mes questions à propos de la religion ? Quelle peut être la raison de mes doutes à l’encontre d’un nombre important des fondements de la doctrine de l’Église ?
 
Il m’est impossible de pointer du doigt un instant ou un évènement précis qui marquerait le début de ces interrogations. Sans doute, ces doutes étaient latents en moi et ils accompagnaient mon âme, partout où je me trouvais. Ils attendaient certainement le bon moment pour émerger. Runa et moi-même lisions la Bible ensemble, sous la forme qu’on nous avait enseignée à cette époque : en deux parties. Si le Tanakh est le fondement, pour quelle raison le “Nouveau Testament” en est-il si différent ?
 
Avec le recul qu’offre le temps, je me souviens de l’origine de mes doutes. C’est dans la pratique de l’Église du baptême qu’ils trouvèrent leur place. Le baptême était un de mes évènements favoris. Un bébé venait de naître, la famille est unie… tout cela donne de bonnes raisons pour célébrer dans la joie.
 
L’ancienne habitude consistait à baptiser les bébés huit jours après leur date de naissance. De nos jours, le délai est plus souple et il n’est pas rare de baptiser un bébé âgé d’un mois. Le plus souvent, j’organisais une rencontre avec la famille afin d’expliquer la signification de cette cérémonie. Nous discutions du choix de l’hymne qui devait être chanté, de l’identité des parrains et d’autres sujets liés à cet évènement paroissial.
 
Le baptême doit-il se dérouler à la maison ou à l’église ? Les deux possibilités sont acceptées. J’expliquais aux parents l’importance de cette cérémonie : grâce à elle, l’enfant devient membre de l’Église sainte. Les parents, dont la plupart avait oublié ce qu’ils avaient eux-mêmes appris dans leur enfance, profitaient de cette occasion pour rafraîchir leur mémoire. Également, c’était leur responsabilité de parents, ainsi que leurs obligations liées à l’éducation de leurs enfants, dont je parlais abondamment.
 
Cependant, plus je parlais aux parents, plus je réalisais que ce que je disais était inconsistant avec les Écritures saintes. Pourquoi ? C’est alors que je commençai à considerer ma foi sous un angle nouveau.
 
Les premiers doutes
 
Je me souviens d’une nuit où je me réveillai en sueur après avoir fait un cauchemar. Dans ce rêve qui me tourmenta longtemps, j’étais coincé dans ma chaire pendant que je prononçais un sermon. Je commençais à suffoquer en ayant l’impression qu’une personne avait placé un sac plastique sur ma bouche : je sentais venir la mort.
 
Ce rêve fut d’une telle force que je ressentais au fond de moi qu’il était vrai : j’allais mourir. C’est exactement ce qui serait arrivé – ma mort spirituelle – si je n’avais pas pris en considération ces premiers signes annonciateurs. Si j’avais essayé de les ignorer, cela aurait été comparable à ignorer les feux tricolores de la circulation : nous devons y obéir ou risquer de nous blesser, ou de mourir.
 
Ces pensées commencèrent à se développer durant les dernières années que nous avons passées en Australie. Nous étions alors à la fin des années quatre-vingt. Après le cauchemar, j’eus les plus grandes difficultés à parler à la chaire. Cela était particulièrement le cas pour une chaire qui était utilisée dans une des églises pour le service du dimanche.
 
Cette église était assez ancienne pour un nouveau pays comme l’Australie. Sa chaire avait la forme d’un tonneau ; on y accédait par un long escalier et une fois à l’intérieur, je me sentais comme un prisonnier. À un certain moment, je ne pus plus y entrer. Je décidai alors de délivrer mon sermon du dimanche au raz du sol : de la sorte, je me sentirais plus proche des gens et j’aurais sans doute plus de facilité pour leur parler.
 
J’avais sans doute l’impression qu’en étant plus proche de mon audience, je me sentirai plus apte à chuchoter à l’oreille des auditeurs des secrets qu’il n’aurait pas été bon d’entendre à voix haute. En haut de sa chaire, un prêtre a tendance à parler d’une façon formelle et chargée d’autorité. Vu sous cet angle, un prêtre n’est pas un individu qui exprime ce qu’il pense. Plutôt, tout ce qui dit reçoit l’estampille de l’institution dans laquelle il parle.
D’autre part, me trouver au même niveau que ma congrégation me permit d’obtenir une nouvelle perspective à propos de mon rôle. Mon rapprochement physique avec les personnes me donna le sentiment de pouvoir m’impliquer plus grandement dans mes paroles. Je me sentais moins obligé de respecter les dogmes de l’Église et j’étais tenté de révéler les secrets que j’avais découverts dans ma nouvelle lecture de la Bible.
 
En même temps, je réalisais que je ne découvrais rien de nouveau. Le Tanakh n’a pas été écrit hier ! Comment pouvais-je expliquer cela ? Je lisais simplement le texte du Tanakh, le même texte accessible à tout le monde. Mon intérêt commençait à trouver une nouvelle direction et ma fidélité à changer de camps.
 
Il est souvent plus facile d’expliquer ce qui est arrivé, plutôt que les raisons pour lesquelles cela est arrivé. Cela est certainement le cas lorsque je désire parler des différentes étapes qui ont jonchées ma vie. Être prêtre et se convertir au judaïsme n’est pas facile. Les changements immenses que cela entraîna dans ma vie sont l’équivalent de changer, une nouvelle fois, du statut de professeur à celui d’élève. Quelle personne désirait faire cela ?
 
À suivre…
 
 
(“Strangers No More, par Shlomo Brunell. Traduit et reproduit avec l’autorisation des éditions Gefen House 2005 www.gefenpublishing.com).

Ecrivez-nous ce que vous pensez!

Merci pour votre réponse!

Le commentaire sera publié après approbation

Ajouter un commentaire

Contenu sur le sujet