Le combat de l’homme

Séduits par la forme extérieure des choses et des profits immédiats que nous pourrions en tirer, nous tournons le dos au divin et à l'esprit qui réside en chaque chose...

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le rabbin Israël Yits'haq Besançon

Posté sur 06.04.21

Le chant du monde
 
"Rabbi disait ceci : Qui s'emploiera au Chapitre du Chant dans ce monde, sera assuré d'apprendre et d'enseigner, de garder, de faire et d'accomplir et son étude se maintiendra entre ses mains ; il sera sauvé du mauvais penchant, des mauvaises rencontres, des affres de la tombe, du jugement de l'enfer et des douleurs pré messianiques. Il prolongera ses jours, connaîtra la Rédemption et la félicité du Monde avenir."
  
"Tania, Rabbi Éliezer le Grand a dit ceci : Toute personne qui s'affairera au Chapitre du Chant chaque jour, je témoigne qu'il a part au Monde Futur ! "
 
Le Chapitre du Chant est l'un des plus petits recueils et l'un des plus anciens, de toute la littérature de Tora. Il ne compte qu'une centaine de lignes, quelques pages où sont consignées des phrases isolées. Ce sont pour la plupart des versets bibliques, des phrases isolées, empruntées au Livre des Psaumes. Ce qu'elles ont de particulier, ce qui justifie leur choix, c'est que ces versets sont chacun l'hymne particulier de l'une des principales créatures.
 
À titre d'exemple, pour citer le premier : "Les cieux disent : 'Les cieux racontent la Gloire de Dieu et l'espace les exprime les œuvres de ses mains ! ' " (Psaumes 19)
 
Dans le même style, toutes les créatures de la flore et de la faune sont passées en revue, nous indiquant quels sont leurs hymnes respectifs.
 
Posons-nous donc quelques questions :
 
Que signifie vraiment que telle ou telle créature "dise" ce verset ou un autre ?
 
Puisque les animaux et les plantes semblent emprunter des vers bibliques, que se passait-il avant que le verset en question n'apparaisse historiquement et que disaient alors les choses ? En quoi l'énumération de ces hymnes – assez brève somme toute – représente-t-elle une valeur aussi élevée, récompensée par tant de tant de privilèges ?
 
Ainsi que nous le dit la Bible, quand D-ieu eut achevé de créer toutes choses, puis Adam en dernier, Il présenta toutes ses œuvres à l'homme, pour savoir quel nom ce dernier leur donnerait.
 
Pour donner un nom, en général, il s'agit de créer une nouvelle combinaison de lettres. Cet assemblage inédit est appelé à désigner un être ou une chose et la distinguer par rapport aux autres.
 
Depuis Adam jusqu'à la fin des temps, à l'apparition d'un nouvel être, d'une nouvelle chose ou d'une situation inédite, nous serons amenés à créer des nouvelles appellations. Dans la tradition humaine, se sont les pontes de la culture ou les académiciens qui décident selon certains critères, quelles syllabes désigneront le mieux, dans l'esprit de la langue, telle ou telle nouvelle chose.
 
Contrairement à cela, l'hébreu, en tant que “Langue sacrée”*, ne nommera choses ou êtres qu'en fonction de leur nature profonde. L'arrangement précis des lettres qui composent tel ou tel nom, ce sera à la fois la formule qui créée et maintient cette chose, tout autant que son nom en Hébreu.
 
Or Adam possédait suffisamment de jugement pour identifier les énergies ésotériques que contenaient les choses – leur esprit – telle était son niveau de sagesse.
 
Puisqu'il pouvait "lire" en la chose, les signes qui la composent et qui, assemblés forment un ensemble de lettres, il pouvait lui donner son vrai nom. Une telle appellation est, avant tout, la formule métaphysique de la chose et non une simple convention ou fantaisie. Or les lettres et les signes qui animent chaque chose sont aussi des puissances médiatrices animées et programmées par la Lumière Infinie. Ces forces sont destinées à accomplir telle ou telle fonction et sont nommées allégoriquement des “Anges”.
 
Chaque domaine est activé, suivant ses propriétés, au moyen de ces forces dont la nature, la puissance, l'influence diffèrent suivant sa mission particulière.
 
Puis, gravissant la hiérarchie, chacun de ces domaines est dirigé, orchestré par un Archange : une force spirituelle d'ordre plus générale et plus puissante qui régit l'ensemble de ses administrés. Exemple : l'Archange des Eaux ou des nuages etc. Cet Archange est à son tour soumis à Matatron, le Prince du Monde qui achemine devant le trône de Gloire, les retours et réactions de ces énergies, tout en veillant à distribuer journellement à chaque groupe son allocation de subsistance.
 
L'Archange se présente chaque jour à la source d'alimentation dont il puisera un regain de forces. Mais pour recevoir sa pitance, l'Archange doit, lui aussi, chanter; il se doit de réciter une certaine formule qui correspond au type d'éléments que requière son règne et sa fonction. Cette formule, c'est un assemblage de signes et de lettres qui correspondent à ce que cet Archange est appelé à faire. Cet ensemble forme une phrase qui – hormis sa teneur métaphysique – possède un second sens, littéral et intelligible à l'homme : c'est alors un verset sacré.
 
Le verset en question, celui qu'entonne l'Archange de tel ou tel règne, c'est précisément celui énoncé dans notre chapitre. Suivant cela, il va de soi que la formule fut prononcée bien avant que la Bible l'écrive : dès les premiers jours du monde. Ce sont au contraire les Prophètes qui, par la suite, captant par inspiration cette formule, la rédigèrent et la firent connaître, sans dévoiler à quoi elle correspondait.
 
À leur tour, les Maîtres de la Michna explorèrent ce champ et rédigèrent  l'ensemble des hymnes qu'ils recueillirent dans ce petit livret.
 
Voici qui nous éclaire et qui transforme un simple opuscule en partition pour une symphonie cosmique !
 
Mais deux questions demeurent encore :
 
Que signifie vraiment que telle ou telle créature "dise" ?
 
Nous avons vu que les Archanges chantaient: qui pourrait décrire leur symphonie, ce Chant du Monde supérieur, où n'existe nulle pesanteur et qui est tout air pur et lumière…
 
Ayant dit son chant, il reçoit en retour des flots d'abondances qu'il ne redistribuera à ses administrés qu'en fonction de leur propre éveil vers leurs propres racines, c'est-à-dire en fonction de son identification au verset d'origine !
 
Mais puisque ces créatures ne sont pas douées de parole, pas plus que de conscience, comment pourrions-nous attendre d'elles des récitations ?
 
En fait, même les bêtes et les plantes ne savent pas parler, ce sera à travers leurs gestes, leurs mouvements, leurs expressions sonores ou autres que ces créatures mimeront et exprimeront l'essence du verset, son esprit, son secret.
 
Ainsi, l'homme Sage qui possédera ces deux éléments : la formule – le verset – plus des connaissances sur le comportement de la créature observée, pourra faire de fracassantes découvertes ! Imaginez que vous sauriez ce que "dit" la grenouille : lorsque vous en rencontrerez une, vous la verriez tout autrement. Vous vous rappelleriez que cet humble batracien est porteur d'un message divin !
 
Si votre reconnaissance était encore plus poussée, vous saisiriez peut-être une allusion ou un signe qui pourrait rattacher le croassement, le saut ou autre aspect de la grenouille à l'un des mots du verset cité ou à son ensemble. Alors ce verset par retour, vous livrerait son mystère. Il serait commenté en livre et les mots qui le composent vous apparaîtraient comme une légende éternelle issue d'un livre d'images cosmiques.
 
C'est cela, être "fils du Monde Futur": futur qui s'est transformé en présent pour le Juste ou le Prophète qui a atteint un tel degré de conscience, grâce à l'observation de l'esprit qui réside en chaque chose.
 
Ce Monde Futur est en fait très présent, car à ce niveau, le temps n'existe pas. Il n'est présentement distant de nous, que par rapport à notre degré d'inconscience. Plus nous nous ouvririons au divin présent dans chaque chose, plus ce Futur se rapprocherait jusqu'à se transformer en temps intemporel, celui dans lequel l'initié irrigue les racines de son âme. Il a découvert la lumière cachée dans les choses et les êtres les plus banals et capte le divin jusque dans ses plus humbles retraites. Ce faisant, il multiplie les repères et jalons qui illuminent sa propre progression et l'éclairent dans tous ses chemins.
 
Reste encore la dernière question :
 
En quoi l'énumération de ces hymnes, assez brève somme toute, représente-t-elle une valeur aussi élevée, jusqu'à ce qu'elle vaille à son récitant tant de privilèges ?
 
Si c'est ainsi, comment Rabbi a-t-il pu promettre de tels privilèges à tout un chacun ?
 
C'est grâce à Rabbi Nathan que nous pourrons répondre à cela. Commentant le premier chapitre du “Liqouté Moharan”, il nous rassure que “la liaison entre l'aspect externe des mondes et leur intériorité est précaire”. Car la distance qui sépare ces deux pôles fut conçue par D-ieu Lui-même afin de ménager le libre choix de l'homme et non le contraindre dans sa progression. L'intérieur des choses rayonnerait-il jusqu'à expliciter la forme extérieure, que nul ne pourrait agir autrement qu'en fonction de cet esprit ! Quel mérite y aurait-il à cela ?
 
Nous ne serions alors pas plus que de simples anges, contraints dans nos décisions, pétris d'évidence et invariables. Or – bien qu'inférieurement situé – l'homme est appelé à dépasser les anges: pourvu que, grâce à son bon choix, il fasse régner le Seigneur jusque sur les domaines les plus épais et les plus distants du divin.
 
Mais voici que nous sommes influencés par nos partis pris : séduits par la forme extérieure des choses et des profits immédiats que nous pourrions en tirer, nous tournons le dos au divin et refusons d'observer l'esprit qui réside en chaque chose… De ce fait l'homme moyen, celui qui n'a pas suivi la longue et laborieuse progression (des 49 degrés de restrictions), ne peut guère prétendre entendre le chant des Anges ! Mais il existe pour lui une solution, qui lui permettrait au moins de s'en rapprocher au point de capter au moins quelques échos :
 
Y croire et respecter l'ordre relationnel que les Initiés nous révèlent à travers la Tora.
 
Y croire – vous l'avez bien compris – c'est adhérer à cette thèse merveilleuse, qui est issue des plus hauts sommets de la kabbale: Rabbi Abraham Azoulay, d'après le Zohar et Kitvé Ari
 
Y croire, sans pour autant l'avoir vérifié : venant de cette vase où demeure dame grenouille, je n'entends que des croassements… mais je crois d'une foi parfaite que le batracien a quelque chose de divin à me dire !
 
Respecter l'ordre relationnel signifie entre autre : ne pas détruire inutilement cet être ni, sous aucun prétexte, ne lui infliger la moindre peine. Ne pas en consommer la chair parce que les prophètes ont désigné cette consommation comme stérile et donc cruelle. (Manger n'ayant de sens que lorsque le mangeur élève sa nourriture ; or les grenouilles – malgré toutes leurs qualités – ne sont pas des créatures que nous avons le moyen d'élever par la consommation).
 
Moyennant ces deux conditions, l'homme le plus simple accomplira, à son niveau, l'unification des deux pôles : interne-externe tout autant qu'un grand initié le fait à son propre degré !
 
Y a-t-il acte de foi qui dépasse l'effort assidu du simple fidèle qui récite quotidiennement son Chapitre du Chant – sans entendre la moindre mélodie ? !
 
Tout en prêtant sa bouche aux êtres muets, le fidèle le plus modeste fait œuvre de Rédemption : grâce à lui, D-ieu bénira sa création et y penchera des surcroîts d'abondance. Grâce à sa soumission cet humble fidèle creuse en son cœur la marque du Ciel et forme le récipient dans lequel ne tardera pas de luire un reflet du Monde Futur. Car lui aussi, ce simple poète, y a sa part. Comme avant goût et à titre d'acompte, il mérite bien de temps en temps de saisir un éclair intéressant qui fait couler entre les cloisons de son cœur quelque écho de la mélodie du bonheur.
 
Faisons l'homme
 
Dans le chaos de la gestation cosmique, le Souffle de D-ieu planait au-dessus des eaux, c'est l'Esprit du Messie qui recouvre les flots de la Sagesse. Puis surgit comme un divin murmure : "Que la lumière soit ! " Non pas comme un ordre mais plutôt comme une requête : "Pourvu qu'il fasse clair ! Pourvu qu'un peu de lumière chasse beaucoup d'obscurité."
 
Pourvu qu'à l'image de son Créateur, dont la compassion apaise la rigueur par une permanente supplication, l'homme lui aussi adoucisse toutes les sentences sévères, par le simple fait de se mettre en prière…
 
Ainsi, le Talmud nous affirme que D-ieu Lui-même prie constamment: que son côté clémence l'emporte sur son côté rigueur !
 
Vu le combat qui oppose l'humain aux forces adverses – conflit que D-ieu arbitre sans cesse – il peut arriver que le côté positif s'affaiblisse. Si cela concerne une personne précise, elle se trouvera soudain aux prises à des attaques, contre lesquelles seule la Clémence Divine pourrait la sauver. Or, bien que la Clémence désire toujours surmonter la Rigueur, elle ne saurait intervenir que si l'homme concerné le désire très fort et l'exprime… sous forme de prière.
 
Ainsi, lorsqu'un homme ouvre ses lèvres pour implorer de l'aide (passer d'un état de rigueur à un état de clémence), cet homme énonce simplement la prière de D-ieu.
 
C'est dans ce sens que nous introduisons nos prières par la phrase suivante : "Seigneur, ouvres mes lèvres, et ma bouche dira Ta louange ! " Ta louange, certes, car lorsque je prie, c'est Toi qui t'exprimes à travers mes lèvres… (Ramaq)
 
Lorsqu'un homme se trouve confronté à l'une des grandes épreuves de sa vie, qu'il sache que le souhait brûlant que nourrit son Créateur à cet instant même, c'est de voir cet enfant bien aimé réussir son examen. Mais par respect des règles et notamment de celle du libre-choix, D-ieu n'interviendra que lorsque l'homme en question ouvrira ses lèvres pour implorer de l'aide. Ce que manifestera dans ce cas la prière de cet homme, ce n'est autre que … le souhait du Seigneur.
 
Le monde fut créé par dix paroles-prières. Toutes les galaxies se maintiennent par le mérite de ces prières. Pour les revoir dans le détail, consultez la Genèse à son début. Vous y trouverez les dix souhaits qui articulent le monde révélé.
 
Or, arrivé à la neuvième des dix paroles – celle qui concerne la création de l'homme – contrairement aux innovations précédentes, le Créateur employa le pluriel en priant "Faisons l'homme à notre image ! "
 
Cette formule exceptionnelle a soulevé bien des questions dont la plus célèbre : Qui donc le Créateur a-t-Il inclus dans ce pluriel ? À qui s'adresse-t-il par ce verbe "faisons" ?
 
D'après ce que nous venons d'étudier il sera aisé de répondre : Faisons (au pluriel) inclut tout simplement : D-ieu et l'homme lui-même !
 
À cause de la liberté que D-ieu désire lui accorder, il n'est pas question de créer l'homme contre son gré. Pour autant que le désir Divin soit de voir cette créature mériter le très noble titre d'Homme, cela ne pourra se faire que de son plein consentement, d'où la notion de collaboration exprimée par le pluriel employé ici. Comme pour indiquer à l'homme, à chacun de nous : "Allez, mon fils, toi et Moi, ensemble faisons de toi un vrai bonhomme ! "
 
Comment cela ? Par la requête que l'homme formulera pour arriver à cela, celle qu'il inventera en fonction de sa situation, de façon spontanée et grâce à laquelle le souhait Divin se réalisera, ce qui est le mystère du messianisme juif et de l'auto rédemption.
 
Fin,
 
 
 
Extrait du livre “La porte du ciel – Hitbodédouth ” par Rabbi Israël Yits'haq Besançon. Reproduit avec l'aimable autorisation des Éditions du chant nouveau.

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