Mes Pourim d’antan

De nos jours, on ne connaît plus guère les bals de Pourim. Par contre les offices du soir de Pourim sont devenus de véritables attractions pour les enfants, un divertissement à nul autre pareil.

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Félix Lévy

Posté sur 14.03.22

Lorsque j’essaye de me remémorer le service religieux d’antan, il ne reste pas grand chose dans ma mémoire de l’office qui se célébrait à la synagogue. On y lisait la Meguila Esther, mais cela se faisait sans faste, sans rite particulier et peut-être aussi sans grand enthousiasme. Par contre on respectait scrupuleusement deux rites : celui des beignets et celui des bals.

Le rite des”Bûremkichlich” (les beignets de Pourim) était suivi dans tous les foyers. Mentalement on s’y préparait à l’avance et tout chacun connaissait le couplet :

“À Pourim on mange des beignets, et la viande fumée il ne faut pas l’oublier.
Braves gens, pouvez-vous me dire ce qu’est Pourim ?
Pourim, c’est manger des beignets
Et Haman, ne pas oublier” (Rabbi Daniel Gottlieb)

Dans certains ménages on en faisait une quantité telle que l’on avait recours à de grands paniers comme contenants. Les femmes fortunées envoyaient leurs enfants en porter chez les gens pauvres.

Et les bals ! À l’instar des bals de Sim’hathTora, il y avait aussi ceux de Pourim. C’était officiellement une manière d’exprimer sa joie à l’idée de l’événement que Pourim représente pour nous. Mais il y avait aussi l’arrière-pensée que lors d’un tel bal, il pourrait y avoir une étincelle qui jaillirait entre un garçonnet une fille, et qu’ainsi un mariage pourrait s’ensuivre.

On n’en était pas encore à l’époque moderne où des agences matrimoniales ont recours à une énorme publicité, procèdent à des études psychologiques avant d’orienter tel jeune homme vers telle jeune fille et organisent de grands voyages où l’on peut faire plus ample connaissance.

La Schadchen de jadis était d’une envergure très modeste et les parents se glissaient chez elle à la tombée de la nuit, car on n’était pas fier de recourir à une telle intermédiaire, alors que rien n’était plus beau que de faire un merveilleux mariage d’amour. Ce qui ne veut pas du tout dire que les mariages d’amour étaient plus heureux et plus durables que les autres.

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Collection Claudine Hattab-Blum

De nos jours, on ne connaît plus guère les bals de Pourim. Par contre les offices du soir de Pourim sont devenus de véritables attractions pour les enfants, un divertissement à nul autre pareil.

Je me souviens d’un office de Pourim à la synagogue de la rue Chopin à Jérusalem. Les enfants y étaient venus en nombre incalculable, travestis ou grimés selon leur fantaisie, chaque garçonnet armé de son revolver à pétards et chaque fillette de sa crécelle. Chaque fois que pendant la lecture de la Meguila retentissait le nom d’Amann (et il est cité une cinquantaine de fois !), c’était un véritable concert qui se déclenchait.

Cette initiative s’est révélée tellement heureuse qu’elle s’est rapidement propagée dans tous les pays. Rien de tel pour créer une atmosphère joyeuse. Et pour que la joie règne aussi dans les foyers, certains papas racontent à leurs enfants les blagues d’antan dont voici un choix de nature à rajeunir le lecteur :

Blagues pour Pourim

Tout Ingwiller sait que Salme est ruiné. Il essaie maintenant désespérément de contracter un emprunt et frappe aux portes des banques d’Ingwiller et de Strasbourg.
– “As-tu réussi aujourd’hui ?” lui demande sa femme.
– “Hélas, non ! Je n’ai pas de chance : à Strasbourg, ils refusent de me prêter de l’argent en disant qu’ils ne me connaissent pas assez, et à Ingwiller en répondant qu’ils me connaissent trop bien.”

***

Mauschele de Zellwiller arrive chez les Mennle pour demander la charité. On lui donne une pièce de 50 centimes. Mauschele ne cache pas sa déception :
– “Seulement 50 centimes ! D’habitude, j’ai droit à un franc.”
– “Oui, Mauschele, mais tu sais que nous venons de marier notre fille. Nous lui avons donné une belle dot, et il nous faut maintenant nous restreindre.”
– “Ainsi c’est avec mon argent que vous avez doté votre fille !”

***

Carline, la femme de Chaiele de Winzene, adore son mari mais n’est guère payée de retour. L’autre jour, alors que Chaiele faisait sa prière du matin, il laissa tomber son sidour (son livre de prières). Il le ramassa en toute hâte et le baisa fougueusement.
– “Pourquoi ne suis-je pas ton sidour ?” dit Carline avec une nuance de regret dans la voix.
– “Je préférerais que tu sois mon loua’h (calendrier de l’année juive). Je pourrais en changer à Roch Hachana.”

***

Hendele, la veuve d’Elje de Turckheim, était allée avec Chajem, son fils aîné, déjeuner chez les Ysche, à Crusse. Il s’agissait d’une entrevue discrète : Chajem devait ainsi faire la connaissance de la fille des Ysche. Sachant que son fils était un goinfre, Hendele lui fit la leçon : “Et surtout, sers- toi modérément.”

Au début du repas, tout alla bien. Chajem ne prit qu’une assiettée de knepfelsupp et qu’un morceau de brochet. Mais lorsqu’on mit sur la table une belle poitrine d’oie, il perdit toute retenue, se servit outrageusement, puis, au dessert, fit honneur au schaled en n’en prenant pas moins de trois morceaux. Hendele était pâle de colère. À peine se retrouva-t-elle en tête-à-tête avec son fils qu’elle explosa : “Une Honte ! Une honte !” Mais son fils lui coupa la parole : “Memme, cela n’a pas d’importance. Quand nous en étions arrivés à la poitrine d’oie, j’avais déjà décidé que je n’épouserai pas cette fille.”

***

Ce matin-là, à la schuhl, Mauschele de Zellwiller se précipita vers le chantre et lui demanda de faire pour lui la prière que l’on fait lorsque, par une grande chance, on a échappé à un grand malheur. Une personne s’approcha et demanda à Mauschele ce qui lui était arrivé. Et Mauschele, encore tout ému, lui raconta : “Hier soir, j’ai lavé ma chemise et l’ai suspendue, pour la faire sécher, à une corde tendue entre les deux arbres de mon jardin.

Or, pendant la nuit le vent a fait valser cette chemise en l’air, l’a entraînée jusqu’à hauteur de mon toit, puis l’a laissée lourdement retomber à terre. Vous rendez-vous compte : si je m’étais trouvé dedans, je me serais cassé bras et jambes !”

***

Mauschef Kahn apprend qu’un de ses clients, Fromel de Westhoffen, perd peu à peu la raison. Il appelle son commis et lui dit : “Prends le tram et vas chez Fromel. Depuis trois ans, il me doit encore 200 francs sur une facture. Fais-toi payer.”
Le soir, le commis revient.
– “A-t-il payé ?” demande Mauschef Kahn.
– “Non, il n’est pas encore fou à ce point-là.”

***

Lorsqu’on demanda à Mauschef Kahn de participer aux frais de reconstruction du mur du cimetière d’Ettendorf où ses parents sont enterrés, il refusa tout net : “Pas un sou vous n’aurez de moi. Construire un mur de cimetière est une dépense superflue : ceux qui sont dedans ne veulent pas en sortir et ceux qui sont dehors ne veulent pas y entrer.”

***

Un pauvre rencontre un collègue.
– “As-tu remarqué que Mauschef Kahn devient plus généreux ?”
– “Oui, au fur et à mesure qu’il vieillit, il se dit que ce n’est pas son argent mais celui de ses héritiers qu’il nous donne.”

***

Le petit Faisele, 12 ans, rentre de son cours de religion.
– “Alors, qu’est ce que le rabbin te fait apprendre ?” lui demande son père.
– Le “Qadich”.
Le père se précipite chez le rabbin :

– “Pourquoi lui apprenez-vous le Qadich ? Je suis encore jeune et en bonne santé !”
– “Oh, vous savez, à la lenteur avec laquelle Faisele apprend !”

***

Mauschele de Zellwiller entre à Westhoffen dans une maison où on ne lui a jamais rien donné. Il tente quand même sa chance.
– “Mauschele, je ne peux rien te donner. J’ai moi-même un frère qui est très, très pauvre.”
– “Cela, je le sais, mais je sais aussi que jamais vous ne lui avez donné quoi que ce soit.”
– “Et, le sachant, tu t’imagines qu’à toi je vais donner quelque chose !”

***

Mauschef Kahn est sur son lit de mort, et il le sait. Un ami veut lui remonter le moral :
– “Vas, tu en réchapperas. Tu as 72 ans, mais, tel que tu es bâti, je te vois atteindre 90 ans.”
– “D.ieu n’est pas moins bon commerçant que moi. Pourquoi attendrait-il pour me prendre à 90 alors qu’aujourd’hui il peut m’avoir à 72 ?”

***

Le vieux menuisier chrétien de Rosenwiller vient trouver le rabbin :

Haunel, il y a quarante ans maintenant que je fabrique vos cercueils. Je me sens un des vôtres et c’est dans votre cimetière que je voudrais être enterré.” Le rabbin est très ennuyé. Il a peur de vexer son vieux voisin mais pense avoir trouvé une échappatoire en demandant un montant prohibitif :
– “C’est d’accord, avec plaisir, mais cela coûtera 300 000 Frs.”
– “300 000 Frs ! Mais tu es fou !”
– “Ce n’est cher qu’en apparence. Car, vois- tu, le jour où le Messie viendra, il ressuscitera tous les juifs. Ils se lèveront et quitteront le cimetière. Toi seul, tu resteras. Et avoir pour 300 000 Frs tout le cimetière de Rosenwiller pour toi seul, ce n’est vraiment pas cher !”

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’association “Judaïsme d’Alsace et de Lorraine.”

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