Grande barbe, petite foi

Les gens sont prêts à passer des semaines, voire des mois loin de leurs familles ; mais essayer de parler à Hachem, c’est autre chose…

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le rabbin Lazer Brody

Posté sur 05.04.21

 

Avri est quelqu’un de très sympathique, mais il souffre. Sa plus grosse difficulté, le Chabat, est de se retenir de ronger ses ongles, même s’ils sont déjà rongés jusqu'à la peau. Il a un tic à l’œil gauche et il ne peut s’empêcher de palper sa barbe, tout le temps. C’est quelqu’un de droit, il ne touchera pas un aliment s’il n’est pas porteur du tampon de cacheroute que sa H’assidoute permet, et il ne sort pas de chez lui sans son chapeau et son long reckel (un manteau). Avri sait que ce n’est pas bien de se mettre en colère, il ne crie donc sur personne. Il se mord aussi les lèvres lorsque sa femme se plaint qu’il ne gagne pas assez. La vérité, il a trois boulots qui, ensemble, lui prennent 14 heures par jour, on ne peut vraiment pas dire qu’il est fainéant. Le problème est que dans ce cercle social, il faut tenir le rythme des Goldberg, et Mme Goldberg ne se montre jamais en publique sans sa perruque à 1000$. Donc Avri se mord les lèvres, continue à se ronger les ongles et allonge l’argent qu’il n’a pas, le plus souvent, pour financer la perruque…

Hachem a comblé Avri de trois gendres fantastiques. Ils étudient toute la journée. Comme on dit, des sharfers (des pointures), de bons jeunes hommes, forts dans leur H’assidoute. Ils marchent 50 mètres devant leurs femmes et ne parlent pas aux fremders (inconnus) –personne, pas même un barbu avec des payotes, qui n’appartient pas à leur courant H’assidique. Le problème est qu’avec trois filles mariées, Avri a la moitié de trois emprunts immobiliers sur le dos. S’il se tenait droit, il ferait un mètre quatre-vingt-cinq, mais avec un tel poids sur les épaules, je peux le regarder droit dans les yeux et je ne mesure qu’un mètre soixante-dix.

L’autre jour, Avri et moi nous sommes rencontrés dans un des abris du quartier, alors qu’un missile GRAD avait été tiré sur Ashdod depuis Gaza. Il avait vraiment l’air préoccupé, plus qu’à son habitude. Je mis ma main sur son épaule et lui demandai si les missiles lui avaient fait peur, en particulier celui qui avait été tiré trois heures plus tôt pour tomber à trois rues de là. « Non, Rav Lazer, les missiles ne me tracassent pas trop. Mais merci de me poser cette question, parce que j’ai besoin de parler à quelqu’un… » Dans la H’assidoute d’Avri, on ne raconte pas ses problèmes aux autres, parce que cela détruit, soit son image, ou alors cela compromet les shiduch’im (les présentations en vue du mariage), c’est ce qu’ils croient en tout cas. Du coup, Avri doit mâcher pas mal de comprimés anti-acidité. Je prie pour qu’il n’ait pas un ulcère ou pire encore, D.ieu préserve.

Vu la mine d’Avri, je me dis que peut-être, un de ses enfants était malade ; heureusement, ce n’était pas le cas, Avri m’annonça solennellement qu’il venait de finaliser un shiduch pour sa quatrième fille. « Mazal Tov ! » Je souris, un peu perplexe face à son manque de joie et d’enthousiasme en une pareille occasion. Mais beaucoup de ses pairs réagissent de même : un shiduch implique encore plus de compétition avec les Goldberg, plus d’engagements financiers (que l’on puisse se les permettre ou pas) et plus de tracas. « Dans ce cas, où est le problème ? » Demandai-je, ayant pitié de ces pauvres H’assidim qui vivent sans les livres de Rabbi Nah’man, sans Le Jardin de la Foi et sans Le Jardin des Richesses, et tous les précieux conseils de mon Rav et Maitre bien-aimé, le Rav Chalom Arouch, que D.ieu le garde.

« La famille du jeune homme est d’accord pour financer la moitié d’un appartement, tant qu’il ne coûte pas plus de 600 000 shekels. » (Pour ce prix-là, ils peuvent trouver un appartement de 65 mètres carré dans un quartier adjacent au quartier H’assidique)

« C’est génial ! » Rétorquai-je. « Ils sont prêts à donner 300 000 pour un appartement en plus de financer la moitié du mariage ! Dans ce cas, quel est le problème ? »

« Mais, Rav Lazer, je n’ai pas l’autre moitié ! Et si je ne donne pas ma moitié, ils ne donneront pas la leur. Et le mariage est dans seulement 7 mois. Je ne peux pas aller récolter de l’argent à l’étranger, car je ne peux pas laisser mon travail. J’ai tout juste de quoi vivre, comment pourrai-je financer un autre mariage ? »

« Avri, tu ne finances pas le mariage, c’est Hachem qui le fait ! »

« Rav Lazer, ça, c’est soit un discours de Baal Téchouva ou celui d’un Breslev. Mais nous ne parlons pas comme ça. Nous devons trouver l’argent par nous-mêmes ! »

Je n’en croyais pas mes oreilles. Cet homme de 48 ans, né dans une famille H’assidique, est allé au talmud Torah, puis dans une petite Yechiva, puis dans une grande Yechiva, après quoi il a fait sept ans au kollel rabbinique avant de devoir se mettre à travailler pour payer ses factures. Cela me faisait pitié de voir qu’un tel homme, barbu, avec de longues payotes, un long manteau et un pantalon H’assidique rentré dans ses chaussettes noires, vivait tellement loin d’Hachem et de la foi.

Avri avait les larmes aux yeux et sa lèvre supérieure tremblotait. « Comment vais-je pouvoir trouver 300 000 shekel en 7 mois ? C’est impossible ! »

« Li hakesef ve’li hazahav, ne’um Hachem » Je citai le Prophète qui nous dit qu’Hachem détient tout l’or et l’argent. Si on a besoin d’argent, c’est Lui qu’il faut aller voir. « Pourquoi ne pas essayer de parler à Hachem ? »

Il leva les épaules et fit une grimace, comme si je lui demandais de manger un citron. «  Quoi ? Vous croyez que je ne suis pas normal ou quoi ? »

Complètement bluffé par son discours, je compris enfin ce que le Rav Chalom me dit tout le temps : le Machiah’ fera faire téchouva à tout le monde, mais il laissera les religieux pour la fin, parce qu’ils sont les cas les plus durs. Selon Avri et ses fausses références, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse et le Roi David étaient tous « pas normaux », puisqu’ils consacraient tous des heures à parler avec Hachem, au quotidien.

J’essayai une autre stratégie. J’ouvris mon portefeuille et j’en sortis un billet de 200 shekels. « Avri, je suis agronomiste de profession. Je sais comment planter des graines et les faire pousser. Considère ceci comme une graine… »

Il refusa d’accepter l’argent, mais j’insistai.
« Tu peux l’arroser en parlant avec Hachem, 20 minutes par jour, en lui demandant de t’aider à acheter un appartement pour ta fille. »

« Vingt minutes !! Comment est-ce que je vais faire ça ??? »

« Je te fais déjà une grande faveur, Rabbi Nah’man dit que 60 minutes sont une obligation absolue. »

C’est marrant, les gens sont prêts à dépenser des centaines de dollars dans un billet d’avion, à passer des semaines et des mois loin de leurs familles pour quémander de l’argent, mais essayer de parler avec Hachem pendant une heure par jour, non. Pourquoi ? Les autres H’assidim pourraient dire qu’il se breslevise, D.ieu préserve…

Après avoir négocié avec moi, Avri accepta finalement de le faire 3 minutes par jour. Rabbi Nah’man dit qu’un petit peu, c’est bien aussi.

Si seulement les gens savaient quelle belle vie on peut vivre avec la foi ; s’ils savaient seulement qu’on ne peut pas être réellement croyant sans la prière personnelle quotidienne ; si seulement ils connaissaient et intériorisaient les 13 principes de notre foi…
 
Depuis ma conversation avec Avri, j’ai rajouté une prière à ma prière personnelle quotidienne : « S’il-te-plait, Hachem, ouvre le cœur d’Avri et de tous les Avri du monde ! Enseigne-leur la foi ! Fais qu’ils goûtent au vrai bonheur et à une vraie et douce vie. »

Il devrait y avoir une loi : les longues barbes et les payotes doivent obligatoirement être accompagnées d’une grande foi.

Je me demande ce que feront tous les H’assidim si Machiah’ est marocain et baal téchouva !
Puissions-nous tous renforcer notre foi ! Amen !

Traduit par Carine Illouz
 
 

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