Les vieilles copines débarquent !

Elles sont venues se ressourcer, elles sentent le Duty free et arborent leurs plus beaux vêtements avec des tonnes de patience et zéro choses à faire...

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Sharon Rotter

Posté sur 18.03.21

Chaque été, elles débarquent de leurs pays froids avec un ou deux enfants, pour se ressourcer. Nous sommes amies depuis toujours, depuis les années folles et insouciantes du lycée. La vérité, cela devient même gênant de compter combien d’années ont passé depuis, mais ça frôle certainement la vingtaine d’années…

Toutes sont plus ou moins bien établies, propriétaires d’une ou plusieurs maisons, salaires conformes aux standards européens, avec tous les privilèges que cela implique, les bonus, le confort, les conditions sociales, les assurances etc…

Certaines sont parties par amour ou pour trouver le confort et l’argent, il y a des années, d’autres voulaient juste fuir la dure réalité de notre toute petite terre, pour un futur plus facile dans des pays d’abondance.

Moi, contrairement à elles, je n’ai fait que m’embourber encore plus dans la « boue » israélienne et j’ai même poussé la chose à l’extrême en faisant de cela ma religion, ma voie et mon mode de vie.

Le retour à la religion m’a menée à des conclusions qui m’ont rapprochée et liée à cet endroit, à la terre, aux gens, et qui m’ont poussée à changer beaucoup des fausses idées que je me faisais du monde. Je me suis ouverte et j’ai découvert énormément de types de juifs que je n’avais jamais connus, et j’ai appris énormément de choses sur la terre et sur le pays.

Depuis ce changement que j’ai traversé, je n’ai pas quitté le pays. Au début, l’occasion ne s’est simplement pas présentée. Et puis après, on avait déjà plusieurs enfants mais pas le budget ni l’opportunité. A l’arrivée de chaque enfant, j’avais plus de responsabilités et je devenais plus attachée à la maison, à mon mari, à mes enfants et à mon service de D.ieu. Ici et là, je m’efforçais aussi de ramener de l’argent à la maison puisqu’un seul salaire n’était plus suffisant, et la vie se compliqua de toutes sortes de petits détails dont il fallait se rappeler et qu’il fallait faire, avec moins d’aide extérieure.

Du jour au lendemain, je me retrouvai avec quatre enfants, un mari qui travaille toute la journée, un budget serré pour faire face aux dépenses incessantes, la volonté de gagner un peu d’argent dans mon domaine et toutes les autres tâches et les démarches qu’elles impliquent.

Les grandes vacances sont arrivées accompagnées d’une chaleur assommante et d’un ventre du 7ème mois. Je n’ai pas eu la force de sortir de la maison avec les enfants, surtout lorsque les choses se compliquent avec différents âges (entre un an et demi et neuf ans et demi) et sexes (garçons et filles, ce qui rend les choses plus difficiles pour les religieux, quand il s’agit d’aller à la mer ou à la piscine, de par la séparation).

De plus, je ne voulais pas louper la visite annuelle de mes chères amies, je les ai donc invitées à la maison, tout en sachant que ni mon état, ni celui de ma maison ou de mes enfants, n’était particulièrement brillant.

Elles arrivèrent, embaumées de l’odeur du Duty free, arborant leurs plus beaux vêtements et les enfants assortis, avec des tonnes de patience et zéro chose à faire.

Quant à moi, j’arborais mes plus belles serpillères puisque rien ne m’allait plus, j’étais affalée sur le canapé en face de la clim, mais en nage malgré tout, la maison était sens dessus dessous puisque je ne parvenais plus à contrôler le cirque, ni à ramasser quoi que ce soit à cause de mon ventre imposant. Autour de nous, les enfants mouraient d’ennui, et je n’avais plus la patience pour un autre puzzle ou une autre histoire. Les disputes et les coups étaient à leur maximum, immédiatement suivis de pleurs stridents. En désespoir de cause et dans l’idée de mettre un peu d’ordre, j’étais assise et je criais mes ordres dans toutes les directions, des cris qui se mêlaient au brouhaha ambiant, restaient suspendus en l’air et ne faisaient d’effet à personne.

C’est là qu’elles débarquèrent, irréprochables, après pratiquement un an sans qu’on ne se soit vues. Et moi ? Je vis dans leurs yeux de la compassion teintée de critique et d'incompréhension, comme se demandant dans quoi je m’étais engagée et pourquoi, et est-ce que je ne m’étais pas trompée dans le nombre d’enfants par rapport à mes capacités… Elles ne m’enviaient pas le moins du monde et écourtèrent leur visite de moitié en comparaison aux années précédentes.

Alors qu’elles se tenaient sur le pas de la porte, elles avaient l’air soulagées de retourner à leurs vies confortables, heureuses de laisser leur amie –c’est-à-dire moi- faire face à sa pagaille, juste pour s’en souvenir de temps en temps dans un élan de compassion teintée de ressentiment.

Mais peut-être qu’en fait, ce n’est que moi qui me fais tout un film ? Peut-être parce que je me sens réduite ou limitée ? J’aurais envie d’être plus patiente, j’aimerais avoir envie de jouer avec les enfants dans leur monde imaginaire, les prendre dans des super parcs d’attractions à 130 shekel l’entrée par personne, et être légère et spontanée, donner des directives à la femme de ménage avant de sortir pour trouver une maison bien rangée à mon retour… Qui n’aimerait pas partir pour des vacances de rêves, se faire dorloter, et réussir à donner du temps à chaque enfant, seul avec maman ? Inscrire chacun d’entre eux à trois activités minimum, et à des cours de gymnastique et de judo ? Aller au centre commercial, leur acheter toutes les marques qu’ils veulent et terminer par un repas en famille au restaurant…

Mais peut-être que c’est moi qui doute de ma capacité à gérer les enfants et à leur apporter tout ce dont ils ont besoin ? Oui, c’est encore cette voix en moi qui me dit : « Tu n’es pas née là-dedans et tu n’as pas grandi dans ce genre de maison, alors qu’est-ce qui te prend de te la jouer maman de famille nombreuse ? Qui t’a dit que tu en étais capable ? Que tu en as le droit ? Que tu le mérites ? »

Autour de moi, les femmes enceintes qui ont déjà quatre ou cinq enfants vivent ces vacances avec plaisir et légèreté, il n’y a que moi qui m’embrouille. Avec les repas achetés et tous prêts, en restant à la maison à ruminer mes remords et cette sensation de culpabilité qui ne me lâche pas.

Mes copines n’ont pas arrangé les choses. Leur présence m’a rappelé qui j’étais, le passé d’où je viens et les origines de l’éducation que j’ai reçue, intensifiant cette voix intérieure. J’essaie de regarder devant moi, vers le futur, et de me renforcer dans le fait que je suis quelqu’un de bien, de juste. Peut-être un peu limitée en ce  moment. C’est difficile, mais les fruits de mon labeur ne tarderont pas à se montrer et il ne me restera plus que quelques années difficiles et c’est tout.

Mais si je pensais autrement ? A maintenant, et pas dans quelques années ? Peut-être que si j’arrête de penser « comment il faut être » et que je commence simplement à « être », je pourrai profiter de ce que j’ai, maintenant, c’est-à-dire de tous ces magnifiques cadeaux gratuits ! Peut-être qu’alors, je pourrai changer ma réalité, afin qu’elle soit bonne et facile, pas qu’elle me dépasse, mais qu’elle reste exactement comme elle est, juste sans en souffrir.

Peut-être que si j’ose, je pourrai apprendre à aimer ce que j’ai.

Traduit de l’hébreu par Carine Illouz
 

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