Un échange justifié

Au fur et mesure qu'il avançait dans sa lecture, des larmes apparaissaient à ses yeux. Dans ce bloc-notes, Rav Moché avait inscrit toutes ses transgressions de l'année précédente.

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Libi Astaire

Posté sur 06.04.21

Au fur et mesure qu’il avançait dans sa lecture, des larmes apparaissaient à ses yeux. Dans ce bloc-notes, Rav Moché avait inscrit toutes ses transgressions de l’année précédente.
 
 
Rabbi Elimelekh de Lizhensk (1717- 1786) était l’un des grands maîtres du mouvement ‘hassidique. Logiquement, nombreux étaient les ‘hassidiques qui s’assemblaient dans sa ville dans le but d’observer la façon dont le maître faisait les mitswoth. Quelques jours avant Yom Kipour, un certain riche ‘hassid vint de la ville de Lizhensk (Pologne) simplement dans ce but.
 
Pendant cette période de l’année, nous avons l’habitude de faire la cérémonie symbolique des “kaparoth” (expiation). Dans cette cérémonie, une personne – le plus souvent le père de famille – prend un coq ou une poule vivant et le fait tourner trois fois au-dessus de sa tête en prononçant les mots : “Ceci est mon échange, ceci est mon substitut, ceci est mon expiation.”
 
(De nos jours, de nombreuses personnes utilisent de l’argent enveloppé dans un mouchoir à la place du coq. Elles font tourner l’argent trois fois au-dessus de leur tête et le donne ensuite aux pauvres),
 
Le riche ‘hassid était venu à maintes occasions dans la ville de Lizhensk (Pologne) à l’occasion de Yom Kipour. Cependant, il n’avait jamais vu son rabbi réaliser cette cérémonie particulière. Cette année-là, il avait la ferme intention de voir finalement la façon dont son maître faisait les kaparoth. A sa grande surprise, Rabbi Elimelekh refusa sa demande à assister à cette cérémonie.
 
“Il n’y a rien de vraiment spécial dans la façon dont je fais les kaparoth” signala Rav Elimelekh à son ‘hassid ; " cependant, si ton désir est d’assister à une cérémonie inoubliable des kaparoth, tu devrais plutôt aller voir un des mes ‘hassidimRav Moché – qui habite le village voisin.”
 
Même si le jour touchait à sa fin, le ‘hassid n’hésita pas une seconde : en quelques minutes, ses chevaux étaient attelés à son chariot et il était déjà en route. Il était presque minuit lorsqu’il arriva à la maison de Rav Moché.
 
Lorsque le ‘hassid entra dans la maison de Rav Moché, il fut épouvanté par ce qu’il vit : Rav Moché gagnait sa vie en tenant une taverne dans la pièce principale de sa maison ! La taverne était fréquentée par les non juifs locaux; tous étaient assis – plutôt affalés – aux quatre coins de la pièce et semblaient être saouls, ou sur le point de l’être. De plus, les pipes étaient si nombreuses que l’air de la pièce était irrespirable.
 
Pendant quelques minutes, le ‘hassid regarda ce monde étrange qui lui semblait si lointain ; il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il devait immédiatement quitter ce lieu infâme et retourner à Lizhensk. Quelles étincelles de sainteté pouvait-il trouver ici ? A cet instant, le ‘hassid aperçut Rav Moché se diriger vers lui et il se souvint de l’objet de sa visite.   
 
“Je voudrais une chambre pour la nuit” dit le ‘hassid à Rav Moché.
 
“Il y a un hôtel confortable à quelques kilomètres d’ici” répondit Rav Moché ; “vous vous sentirais certainement mieux là-bas qu’ici.”
 
“Je comprends, mais il est trop tard pour que je me remette à voyager” insista le ‘hassid.
 
“Mais je n’ai pas de chambre disponible à vous donner” rétorqua le propriétaire des lieux, avec la même insistance.
 
“Cela n’est pas grave ; je dormirai…” le ‘hassid commença à inspecter des yeux la pièce enfumée et remarqua une place, près du four à bois “… ici.”
 
“Si cela est votre désir…” répondit Rav Moché d’un ton las. La journée avait été longue et il lui restait encore beaucoup de travail à faire.  
 
Lorsque la pendule sonna minuit, le tavernier commença à demander gentiment à ses clients de quitter les lieux. Pour certains, une petite tape sur l’épaule était suffisante pour les réveiller de leur rêverie de saoulards et pour leur faire reprendre le chemin de leur maison. Cependant pour d’autres, une aide plus physique était nécessaire : Rav Moché devait carrément les soutenir pour qu’ils se lèvent et qu’ils puissent franchir la porte de la taverne. Finalement, en quelques minutes, la taverne se vida.
 
Avec un soupir de soulagement, Rav Moché ouvra toutes les fenêtres et respira profondément l’air frais de la nuit. Il remit les tables à leur place ; les chaises sur les tables et ils commença à frotter le sol avec force.
 
Lorsque tout fut en ordre et propre, il appela sa femme : “Sara, peux-tu m’apporter le bloc-notes qui se trouve sur mon bureau ?”  
 
Sa femme apporta le bloc-notes demandé et Rav Moché s’assit à une des tables. Il commença à lire à voix basse les pages du bloc-notes. Il se concentrait tellement sur cette lecture qu’il avait fini par oublier entièrement la présence du ‘hassid, dans un coin de la pièce.
 
Au fur et mesure qu’il avançait dans sa lecture, des larmes apparaissaient à ses yeux. Dans ce bloc-notes, Rav Moché avait inscrit toutes ses transgressions de l’année précédente.
 
“Le sept du mois de ‘hechvan (octobre-novembre)” chuchotait Rav Moché, “j’ai dit le Chéma’ après l’heure limite. Le vingt du mois de ‘hechvan, j’ai parlé durement à la fille de service.”
 
Lorsqu’il termina la lecture de son bloc-notes, Rav Moché sanglotait des profondeurs de son coeur. 
 
Ribbono chel ‘olam ! Maître de l’univers !” s’écria-t-il, “ne Vous ais-je pas promis l’année dernière, lors de Yom Kipour, que j’améliorerai mon comportement et que je deviendrai un bon et pieux juif ? Maintenant, regarde ce que j’ai fait : tout est écrit dans ce livre ! Je suis rempli de péchés. De quelle façon puis-je me tenir devant Toi cette année ?”
 
Rav Moché sanglota encore un peu ; ensuite, il plaça minutieusement le bloc-notes dans une de ses poches.
 
“Sara, ma tendre femme” appela-t-il une seconde fois sa femme, “peux-tu m’apporter mon second bloc-notes, celui qui se trouve dans le grand tiroir de mon bureau ?”
 
De ce bloc-notes, il lut également avec attention toutes les pages.
 
“Le 10 du mois de tevèt (décembre-janvier), une quantité équivalente à trois jours de chauffage au bois a été volée par des voleurs” Rav Moché dit d’un ton calme ; “le vingt du mois d’adar (février-mars), j’ai eu deux côtes cassées par un paysan saoul. Le 2 du mois d’iyar (mai-juin), ma fille Léa, que j’aimais tant, est décédée.”
 
Lorsqu’il eut terminé de se remémorer tous les soucis et toutes les peines qu’il avait eues pendant l’année précédente, Rav Moché interpella D-ieu une nouvelle fois.
 
Ribbono chel ‘olam” pleura-t-il, “lors du dernier Yom Kipour, ne Vous ais-je pas clairement demandé de me donner une année de bénédiction, de vie et de paix ? Ne Vous ais-je pas fait confiance ? N’ais-je pas cru que Vous écouterais mes prières ? Maintenant, regarde l’année que Tu m’as donnée. Tout est écrit dans ce bloc-notes.”
 
Rav Moché pleura encore pendant quelques minutes. Il plaça ensuite le bloc-notes dans la même poche où il avait déjà mis le précédent.
 
“Maintenant, que puis-je faire ?” déclara-t-il avec un grand soupir. “Aujourd’hui est la veille de Yom Kipour et tous les juifs doivent pardonner aux autres, avant que ce jour saint commence. Ainsi, Ribbono chel ‘olam , concluons un marché : nous mettons de côté, Toi et moi, nos accusations respectives que nous pouvons avoir l’un envers l’autre. De la sorte, nous sommes quittes. Je Vous pardonne et Tu me pardonnes. D’accord ?”
 
Ensuite, Rav Moché prit un morceau d’une corde solide et attacha les deux blocs-notes ensemble. Il balança trois fois le petit paquet au-dessus de sa tête et il prononça avec enthousiasme : “Ceci est mon échange, ceci est mon substitut, ceci est mon expiation.”
 
Lorsqu’il eut terminé de prononcer sa prière, Rav Moché jeta le paquet à travers la fenêtre.
 
Le ‘hassid – qui avait regardé pendant tout ce temps le tavernier – se dirigea vers Rav Moché. Avec une gratitude sincère, il remercia ce dernier pour lui avoir montré la façon dont un maître réalise la mitswa de “qaparoth“.   
 
        
(Libi Austaire est une artiste, une femme écrivain et une réalisatrice de courts-métrages. Elle vit à Jérusalem. Pour visiter son site internet: http://www.decoupageforthesoul.com)

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