Une prière inoubliable

Mon ami souffrait-il d'une crise d'appendicite ? Une inflammation de la colite le faisait-il se tordre de douleur. La réalité est que...

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Ya'aqov Brawer

Posté sur 06.04.21

La fête de Chavou'oth (du don de la Tora) est passée. Tandis que je me tiens devant le réfrigérateur – en regardant les restes du gâteau au fromage que nous avons dégusté pendant ce jour de fête – je sens naître au fond de moi un certain sentiment de gêne. Un sentiment subtil de remords et d'appréhension s'est installé dans mon estomac ; ce sentiment mène la lutte avec le gâteau au fromage et mon envie de le dévorer. La cause n'est pas difficile à identifier. Mon système nerveux est en train de m'avertir que Yom Kipour (le jour du Grand Pardon) n'est pas très loin. 

“Pour quelle raison,” pourriez-vous me demander “devrait-on se soucier de Yom Kipour en plein milieu du mois juif de sivan (mai-juin) ?” Permettez-moi de vous répondre. J'ai un gros problème et celui-ci – comme la majorité de mes autres problèmes – est apparu lorsque j'ai commencé à étudier la 'hassidouth.
 
Il y a plusieurs années – avant que je me familiarise avec la 'hassidouth – le jour de Yom Kipour était une simple affaire à mes yeux. Je savais que ce jour-là, je devais faire téchouva (me repentir). À toute fin pratique, je savais que cela signifiait m'excuser auprès du Tout-Puissant pour les nombreux péchés que j'avais faits tout au long de l'année. Je savais également que je devais demander à Hachem qu'Il ait la gentillesse d'effacer de mon ardoise toutes ces abominables fautes. Afin de passer un service religieux de Yom Kipour digne de ce nom, j'étais pleinement conscient des trois obligations principales :
 
1) Je devais passer de longues heures en position debout ;
 
2) Je devais lire toutes les pages de mon Ma'hzor (le livre de prière pour les jours de fête) ;
 
3) Je devais pleurer.
 
Les deux premiers aspects du service n'étaient pas tellement difficiles à suivre. Cependant, j'éprouvais toujours une grande difficulté à faire couler quelques larmes sur mes joues. Le problème est que je ne voyais pas vraiment ce que j'avais fait de si terrible et en tout cas, pleurer sur mes erreurs me semblait disproportionné par rapport à ce que j'avais réellement fait.
 
Cependant, je ne pouvais pas ignorer le fait que les larmes font partie intégrante des prières de Yom Kipour. Ainsi, après que le jeûne ait commencé à faire son effet sur mon état psychologique – ainsi que mes pieds qui gonflaient et mon mal de tête intenable – je parvenais le plus souvent à trouver une bonne raison de pleurer.
 
Avec le sentiment de m'être acquitté de mes obligations de Yom Kipour, je commençais à sentir naître en moi un sentiment d'impatience pour la prochaine fête joyeuse de Soukoth (la fête des cabanes). Le début d'année s'annonçait bien et j'espérais en des jours de prospérité, de santé et de succès. En fin de compte, je trouvais une certaine satisfaction en cet exercice spirituel d'un jour. Cela dura de nombreuses années… jusqu'au jour où je fus introduit à l'étude de la 'hassidouth. À compter de ce jour-là, mes Yom Kipour – et tant d'autres choses – ne possédèrent plus le même visage.
 
Un nouvel horizon
 
Le plus souvent, une personne qui étudie la 'hassidouth n'a pas besoin de nombreuses années pour découvrir que Yom Kipour n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît. Le néophyte prend rapidement conscience de la sainteté indescriptible de ce jour unique de l'année. Avec cette prise de conscience, vient celle du besoin urgent d'utiliser ces précieuses heures pour redéfinir notre propre existence et pour reconstruire notre vie. Commencer à réaliser ce qui est en jeu et exactement qui se rend aussi disponible pour nous en ce jour remarquable entraîne un sentiment indescriptible de crainte.
 
Le problème apparaît lorsque Yom Kipour commence tandis que l'enthousiaste naïf se retrouve assiégé par la même somnolence, les mêmes rêves ineptes, la mal de tête habituel et les pensées d'un verre de bière fraîche qui l'envahissaient lors des Yom Kipour d'avant sa période 'hassidouth. Auparavant cela n'était pas vraiment un problème : il suffisait que je lise chaque page de mon ma'hzor, que je reste debout et que je pleure.
 
Cependant, pour le nouvel élève de 'hassidouth que j'étais, il me faisait mal de m'apercevoir que le Tout-Puissant ne s'intéresse pas seulement à ce que disait ma bouche, ce que ressentaient mes pieds et aux quelques larmes que j'avais réussi à faire couler après tant d'efforts. Maintenant, je savais que ce que j'avais dans mon cœur et ma tête est ce que regardait principalement le Créateur. À mon grand regret, j'étais parfaitement conscient que c'est précisément dans ces organes qu'Il n'aurait pas dû regarder !
 
Même si mon premier Yom Kipour qui suivit ma découverte de la 'hassidouth fut une véritable catastrophe, je ne me désespérais pas pour autant. Je commençais à comprendre que le service de Yom Kipour nécessite une préparation adéquate importante. De fait, j'appris quelques temps après que c'est le mois entier d'éloul (le mois juif qui précède celui dans lequel Yom Kipour est célébré) qui est habituellement consacré à jeter les fondations qui nous servirons à passer un jour de Yom Kipour adéquat.
 
De plus, pendant ce mois-là, le “Roi se trouve dans le champ”, ce qui signifie que D-ieu – sous Sa forme de Ses 13 attributs de compassion – illumine ces jours propices et confère à chaque juif des forces spéciales qui l'aident à se purifier en préparation des services uniques de Roch Hachana (le jour de l'an juif) et de Yom Kipour. Lorsque j'appris cela, j'étais impatient de vivre le prochain mois d'éloul et des jours de fête qui le suivent.
 
Malgré mon enthousiasme, les choses ne se passèrent pas comme je l'avais prévu. Même si le Roi se trouvait définitivement dans le champ, Il n'était pas le seul. Avec Lui, se trouvaient mes cours de l'université, mes recherches postdoctorales, le comité d'admission dont j'attendais la réponse… et tout un tas d'autres choses qui retenaient mon attention. Le yetser hara' (le mauvais penchant) commença également à se faire entendre plus que d'habitude. Ainsi, je ne parvins pas à trouver le Roi dans ce champ ou régnaient la cacophonie et une foule nombreuse.
 
Tout cela pris en considération, on comprendra la raison pour laquelle ce Yom Kipour ne fut pas si extraordinaire que j'aurais aimé qu'il soit.
 
C'est à cet instant que je réalisai que le yetser hara' et ses alliés n'allaient pas me laisser avoir un Yom Kipour véritablement 'hassid. Cela n'était pas moins qu'une guerre et j'avais la ferme intention de la gagner.
 
L'année suivant, je n'attendis pas le mois d'éloul d'une façon passive. Je commençai les préparations dès Tich'a beAv (le 15ième jour du moi d'av), près de deux mois avant Yom Kipour ! J'en profitai également pour augmenter mes heures d'études et de prendre d'autres décisions, comme celles de dire des chapitres supplémentaires de Téhilim (des Psaumes), de donner plus de tsédaqa (de charité)…
 
Le yetser hara' – en collaboration avec mon corps – répondit en conséquence. Le mal de tête qui m'envahissait habituellement vers la fin de Yom Kipour commença à se faire sentir avant même le début de ce jour ! Ma concentration se trouva également assiégée d'une façon outrancière par des pensées et des préoccupations de toutes sortes.
 
Le Yom Kipour de l'année suivante, j'augmentai encore les risques d'être battu par mon yetser hara'. Ce petit jeu se déroule maintenant depuis plusieurs années. Je commence à me préparer pour cette période de l'année dès les jours qui suivent la fête de Chavou'oth. Pour sa part, le yetser hara' suit son chemin – parallèle au mien – et s'assure d'assécher ma gorge, de me fatiguer terriblement, d'augmenter ma soif et de prendre le contrôle de mes pensées. À l'heure où je récite la prière de Kol Nidré, je suis une autre personne.
 
Nous savons tous que le Tout-Puissant fait preuve de compassion envers toutes Ses créatures, y compris les 'hassidim confus tels que moi. Par conséquent, il y a quelques années, le Maître du monde me réserva une surprise et Il me fit passer un Kol Nidré inoubliable. Ce jour-là, les choses commencèrent pourtant d'une façon habituelle : mal. Tout le jeûne avait été pénible ; il y avait bien longtemps que mes pensées avaient pris mon contrôle et mon cerveau s'occupait de choses qui – en temps normales – n'attirent même pas mon attention.
 
Partit comme cela était parti, la fin de Yom Kipour s'annonçait des plus difficiles ! Mon inquiétude fut à son comble lorsque je pensai à la prière de Ne'ila et à ma réelle capacité à prononcer le moindre mot.
 
Une demande inhabituelle
 
L'heure fatidique approchait ; le 'hazan prit sa position et commença à réciter la prière d'“Achré.” J'arrangeais mon talith (châle de prières) et j'étais sur le point de commencer à prier lorsqu'un ami s'approcha de moi. Mon ami semblait agripper son estomac avec force et son visage était blanc d'angoisse. “Ya'aqov,” s'exclama-t-il, “tu dois absolument m'aider !”
 
Je commençai à paniquer. Des scénarios catastrophiques pénétraient mon cerveau à grande vitesse. Mon ami souffrait-il d'une crise aigüe d'appendicite ? Sans doute, une inflammation de la colite le faisait-il se tordre de douleur. Peut-être, était-il victime d'une rupture fatale d'anévrisme ? Tout cela s'avéra inexact. La réalité est que ses bretelles avaient lâchées et que son pantalon commençait à descendre !
 
En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, je faisais le point de la situation. Mon ami portait son talith (châle de prières), son gartel (la ceinture dont les 'hassid s'entourent la taille avant de commencer à prier), son kittel (le manteau blanc que les juifs d'origine achkénaze revêtent le jour de Yom Kipour) et sa kapota (le manteau typique des 'hassid). Vouloir quitter la synagogue quelques instants pour remettre tout cela en place était impensable : le pantalon n'aurait pas tenu jusqu'à la porte d'entrée de la synagogue !
 
De plus, le temps pressait : il ne restait plus que quelques instants avant que le 'hazan commence la prière de Ne'ila qui représente le point culminant des nombreuses prières de Yom Kipour.
 
Je demandai à mon ami de se baisser en avant. Je commençais à frayer ma main sous les multiples couches de ses vêtements. En quelques secondes, j'avais réussi à atteindre sa chemise et je tâtonnais fébrilement la large étendue de son dos. J'espérais que les bretelles de mon ami n'étaient pas remontées plus haut que ses épaules. Autrement, je n'aurais aucune chance de les trouver !
 
Pendant que j'étais occupé à ce travail d'un type unique, j'entendais des exclamations de “Oh !”, “Ah !” Les personnes ouvraient leurs yeux et commencer à se demander à quelle activité ils assistaient. Ce sont plusieurs centaines de paires d'yeux que je sentais se poser sur moi. Il me faut expliquer – à ce niveau de l'histoire – que mon siège de la synagogue se situe du côté ouest, direction vers laquelle toutes les personnes se tournent pour prier. Cette position unique me garantissait un succès et une attention de premier plan de la part de l'ensemble de la congrégation.
 
Au bout d'un moment qui me parut durer une éternité, je réussis à sentir sous mes doigts les deux extrémités de bretelles de mon ami. Je parvenais à les faire descendre jusqu'au niveau de sa taille et de son pantalon. À cet instant, un évènement d'une rare gravité se produisit. Même si je n'étais à habitué à porter des bretelles, j'utilisais le minimum de logique que je pouvais pour déduire que les agrafes d'une paire de bretelle possèdent deux mâchoires.
 
Je découvris à ma grande surprise que ces mâchoires étaient d'un autre type. Non seulement elles avaient les deux mâchoires obligatoires, mais elles possédaient également une plaque supplémentaire de métal entre les deux. La question à laquelle je faisais maintenant face était simple : de quel côté devais-je fixer cette fichue plaque de métal ? Allait-elle sur le côté extérieur ou intérieur du pantalon ? Je n'avais pas le temps de spéculer outre mesure sur une question qui me paraissait encore plus intéressante : à quoi pouvait bien servir cette plaque de métal ?
 
Un dernier petit effort
 
Ya'aqov,” commençait à s'impatienter mon ami, “pour quelle raison cela te prend-il aussi longtemps ?” À cet instant, j'entendais le 'hazzan finir les derniers versets de la prière d'“Achré.” Encore quelques secondes et la prière de Ne'ila allait commencer ! Je me sentais devenir paralysé.
 
Dans un instant de panique, je choisissais finalement de coincer la plaque de métal d'une des mâchoires sur le côté extérieur du pantalon de mon ami, tandis que je coinçais l'autre sur le côté intérieur. De la sorte, pensais-je, il y en aurait au moins une des deux qui serait bien positionnée ! Dans le cas où une des mâchoires ne tiendrait pas, l'autre pourrait sans doute permettre au pantalon de mon copain de rester en place… au moins provisoirement.
 
Je réussis finalement à fixer les bretelles sur le pantalon… au moment où le 'hazan s'apprêtait à commencer la prière de Ne'ila. Mon ami – rempli de reconnaissance à mon égard – retourna à sa place, tandis que je reprenais mes esprits en arrangeant mon talith sur mes épaules. De fait, mon esprit était vide. Certes, je n'étais pas étranger aux distractions de toutes sortes pendant les longues prières de Yom Kipour, mais celle que je venais de vivre dépassait de loin tout ce que j'avais connu jusque là. Pourtant, en quelques secondes, et avant d'entendre les premiers versets de Ne'ila, je me souvins d'une histoire.
 
Un certain hiver, le Rachab (Chlomo Dov Ber) résidait dans la ville de Menton (France). Son fils – Yossef Yits'haq – lui rendait visite. C'est ce fils qui serait plus tard connu sous le nom du Rabbi Rayatz. Les deux Sages déambulaient le long de la plage ; le Rachab en profitait pour partager de merveilleux enseignements de Tora avec son fils. Durant leur conversation, le Rachab déclara qu'il était extrêmement important de “penser 'hassidouth”, c'est-à-dire de plonger pendant de longues heures dans une réflexion sérieuse à propos des concepts saints, précisément avant de commencer à prier.
 
Le Rabbi rappela qu'une personne qui concentre profondément ses pensées sur la 'hassidouth rend son cœur et son esprit réceptifs à la notion de Sainteté. Agir de la sorte purifie et nettoie l'âme du juif ; également, des niveaux élevés d'Illumination sainte sont projetés sur l'âme sainte. Le Rabbi poursuivit cette conversation à propos de ce sujet pendant un certain temps.
 
Soudainement, il s'interrompit, et sembla sortir de son état de rêverie. Avec un ton unique d'excitation, il déclara à son fils que tous les avantages de la méditation sur la 'hassidouth avant la prière n'arrivent nullement au niveau d'une bénédiction qu'il est possible de recevoir du Ciel. Cette bénédiction nous est envoyée lorsque nous rendons service à un autre juif.
 
Même si cette histoire surgit soudainement et ne resta que quelques secondes dans mon esprit, son message était clair. Le Tout-Puissant – à l'instant, et en guise de préparation pour la prière de Ne'ila – venait de m'accorder cette bénédiction extraordinaire. C'est avec un esprit reposé et rempli de satisfaction que je commençais à prier. Je sentais mon cœur joyeux et le bonheur m'envahir. Cette année-là, je priais un Neila inoubliable.   

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