Une vie tranquille ? Non merci ! – Vayigach

Le confort conduit à l’oisiveté et à la faute, surtout en Terre Sainte où la tranquillité risque d’éveiller le mauvais penchant.

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le Rav David Hanania Pinto

Posté sur 06.04.21

“Israël s’établit dans le pays d’Égypte, dans la province de Gochen, ils en prirent possession, ils y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement. Ya’aqov vécut dans le pays d’Égypte pendant dix-sept ans. La durée de la vie de Ya’aqov fut de cent quarante-sept ans.” (Béréchith 47:27-28)

Rabbi Yo’hanan a dit (Sanhédrin 106a) : “le mot 'vayéchev' ('il s’établit'), exprime la peine, comme par exemple : 'Israël s’établit à Chittim. Là, le peuple se livra à la débauche avec les filles de Moab' (Bamidbar 25:1) et : 'Ya’aqov s’installa dans le pays des pérégrinations de son père… et Yossef débitait des médisances sur leur compte…' (Béréchith 37:1-2) et : 'Israël s’établit dans le pays de Gochen… et les jours d’Israël approchaient de leur terme…' (Béréchith 47:27-29) 
 
Il faut expliquer ce commentaire point par point.
 
Est-ce que le séjour d’Israël en terre de Gochen était vraiment pénible alors qu’il est dit (Or Ha’hayim ; Ba'al Hatourim Vaye’hi) que justement “les dix-sept années de Ya’aqov en Égypte furent les meilleures de sa vie” et (Tana D’Bey Eliyahou Rabah 5) : “La fin de sa vie est bonne…” ou encore (Yérouchalmi Ketouboth 12:3 ; Béréchith Rabah 96:9) : “Rabbi a appliqué ce verset à lui-même, disant : 'Rabbi s’installa à Tzipori pendant dix-sept ans' – ce qui contredit l’opinion de Rabbi Yo’hanan.
 
Le verset : “Israël s’installa dans le pays des pérégrinations de ses pères”, indique qu’il vivait dans la peine, et les Sages remarquent (Béréchith Rabah 84:3) : “Ya’aqov désirait s’installer tranquillement lorsqu’il fut frappé par le malheur de Yossef.” Mais notre verset indique que les années de Ya’aqov en Égypte furent heureuses et sereines puisqu’il est dit à propos du séjour des Enfants d’Israël en Égypte : “Ils l’occupèrent, y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement” (Béréchith 47:27).
 
Il est dit ensuite : “Les jours d’Israël (Ya’aqov) approchaient de leur terme”, ce qui indique que toutes ces années furent bonnes et sereines. Pourquoi considérer que le terme “vayéchev” exprime la peine ?
 
Pourquoi la répétition “dans le pays d’Égypte, dans la province de Gochen” ? Nous savons que Gochen est en Égypte. Qu’est-ce que la Tora veut nous faire comprendre par cette répétition ?

C’est que le fait même de s’installer dans la tranquillité conduit à l’oisiveté, mère de toutes les fautes, comme le disent les Sages (Ketouboth 59b) : “L’oisiveté conduit à l’ennui et à la perversion” et (Berakhoth 64a) : “Les hommes sages ne connaissent pas de repos, ni en ce monde ni dans l’autre.” Il en est de même des hommes vertueux (Béréchith Rabah 84:3). S’ils prenaient du repos, ils en viendraient à l’oisiveté et ne seraient plus aussi vertueux ; or ce n’est que dans l’autre monde que le mauvais penchant n’a plus d’emprise.

 
De plus, la tranquillité en ce monde semble être une récompense pour les bonnes actions accomplies, et “il n’y a pas de récompense en ce monde pour l’obéissance aux commandements” (Qidouchin 39b ; ‘Houlin 142a).
 
Les Justes ne doivent pas désirer recevoir leur récompense en ce monde, mais uniquement dans l’autre monde, où ils “sont assis couronnés…” (Berakhoth 17a ; Zohar III, 236b).

Nous apprenons de Ya’aqov un principe de base valable pour toutes les générations, à savoir que les Enfants d’Israël ne doivent pas rechercher la tranquillité en ce monde, même si elle leur est accessible, car Ya’aqov aurait pu s’installer dans la tranquillité mais il ne l’a pas fait parce que cette tranquillité aurait été considérée comme sa récompense et “il n’y a pas de récompense en ce monde.”

 
Nous trouvons dans le Talmud (Ta’anith 25a) un récit à propos de la femme de Rabbi ‘Hanina ben Dossa. Elle aspirait à un peu de confort en ce monde et à moins de peines car ils étaient très pauvres. RabbiHanina pria, sa prière fut agréée et voici qu’une main du Ciel leur tendit un pied de table en or. La nuit, la femme de RabbiHanina vit dans un rêve tous les Justes assis au Ciel autour d’une table à trois pieds tandis qu’elle et son mari étaient assis à une table à deux pieds.
 
Au réveil, elle se plaignit auprès de son mari : “Est-il possible que tous aient une table à trois pieds et que nous avions une table à laquelle il manque un pied ? Prie donc qu’on nous reprenne le pied de table en or en ce monde !” Sa prière fut agréée. Le sens de ce récit est qu’une vie tranquille en ce monde amoindrit d’autant la plénitude réservée dans l’autre monde.
 
Rabbénou HaQadoch était extrêmement riche. Avant de mourir, il témoigna n’avoir jamais tiré la moindre jouissance des choses de ce monde (Ketouboth 104a ; Tana D’Bey Éliyahou Rabah 26) et nous savons les grandes douleurs physiques qu’il subit durant sa vie. Le Talmud nous dit (Yoma 35b) que Rabbi Élazar ben H’arsoum servira de témoin contre les gens riches car sa grande richesse ne l’a pas empêché d’étudier la Tora.
 
Le confort conduit à l’oisiveté et à la faute, surtout en Terre Sainte où la tranquillité risque d’éveiller le mauvais penchant. C’est surtout sur une terre sainte comme Israël qu’il faut s’efforcer de ne pas rester oisif et de pratiquer la Tora, d’autant plus “qu’il n’y a pas de Tora comme celle de la Terre d’Israël” (Béréchit Rabah 16 :7).
 
Les Sages ajoutent (Yirouvim 19a) : “Une des entrées de l’enfer se trouve face à Jérusalem.” Cela signifie qu’à Jérusalem – et en Israël en général – le pouvoir du mauvais penchant est considérable et il faut le dominer par un attachement permanent à la Tora et au service de D-ieu dans la sainteté. Ceci convient à la Terre d’Israël “qui est plus sainte que tous les autres pays” (Kélim 4:6), “Un pays sur lequel l’Éternel veille et qui est constamment sous l’oeil du Seigneur, d’un bout de l’année à l’autre” (Devarim 11:12).
 
Si l’on n’est pas plongé dans la Tora et que l’on se complaît dans la tranquillité, le mauvais penchant nous détournera du service de D-ieu, et une fois qu’il a attrapé l’homme dans ses filets, il l’éloigne du bon et droit chemin.
 
“Depuis le temps de notre Maître Moché (Moïse) jusqu’à l’époque de Rabban Gamliel, on n’étudiait la Tora que debout, mais après sa mort les gens se sont affaiblis et n’étudiaient plus la Tora qu’assis” (Méguilah 21a) et “lorsque Rabban Gamliel est mort, la grandeur de la Tora fut perdue” (Sota 49a). Tant que Rabban Gamliel était en vie, les gens étudiaient la Tora debout, avec effort.
 
Cette coutume fut maintenue jusqu’à la période de la destruction du Temple et de l’exil, tant était grande l’influence de Rabban Gamliel sur sa génération. Mais après sa mort, personne n’eut un tel ascendant sur ses contemporains et c’est pourquoi la génération s’étant affaiblie, cette coutume s’est perdue.
 
Si, sur une terre sainte comme la Terre d’Israël, Ya’aqov a subi le malheur de Yossef pour avoir voulu vivre dans la tranquillité, à plus forte raison en Égypte, il ne fallait pas s’installer dans le confort. La province de Gochen était riche et prospère, comme il est écrit (Béréchith 47 : 6) : “Établis ton père et tes frères dans la meilleure province”, la plus riche de toute l’Égypte. Il ne fait aucun doute que le mouvais penchant est puissant et il faut se garder de rechercher le confort, mais s’occuper de Tora et servir D-ieu afin d’être protégé comme par une muraille contre les tentations environnantes.
 
Concernant le verset (Béréchith 46:28) : “Ya’aqov envoya Yéhouda en avant vers Yossef ”, les Sages disent (Béréchith Rabah 95:3) : “Afin d’installer une maison d’étude d’où la Tora se répandrait dans le monde.” Il n’a pas attendu d’arriver lui-même en Égypte et il a fait les préparatifs à l’avance, afin que ses enfants trouvent immédiatement un lieu de Tora où ils puissent aller étudier dès leur arrivée, sans perdre un seul instant.
 
Maintenant, nous voyons combien Rabbi Yo’hanan a raison de dire que l’expression “il s’installa en Égypte” exprime la peine. Il s’agit de la peine dans l’étude de la Tora, comme il est dit : “La récompense est à la mesure de la peine” (Avoth 5:25 ; Zohar III, 278b). Le verset loue Ya’aqov qui, même dans un pays de débauche comme l’Égypte, et même dans une province agréable comme celle de Gochen, a persévéré dans la voie de la Tora et le service de D-ieu, sans se donner de repos.
 
Ce que nous avons dit explique aussi la répétition “au pays d’Égypte, en terre de Gochen”, qui nous indique les qualités de Ya’aqov. Le verset dit : “Ils en prirent possession, ils y crûrent et s’y multiplièrent prodigieusement”, ils crûrent dans la Tora et en prirent effectivement possession, dans le sens où il est dit : “Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’en saisissent.” (Michlé 3 :18).
 
Combien Rabbi Yo’hanan a raison de dire que la peine se réfère à ce qui est dit par la suite : “Les jours d’Israël approchaient de leur terme” car, à toutes les peines subies pendant ces dix-sept ans, s’ajouta une peine supplémentaire : Ya’aqov sentit qu’en terre d’Égypte il était possible de servir D-ieu de façon grandiose en luttant sans cesse contre le mauvais penchant et il était heureux de servir D-ieu fidèlement, justement en Égypte, dans la province de Gochen. Ces années-là furent les meilleures de sa vie, des années d’élévation dans le service de D-ieu avec des forces toujours croissantes.
 
C’est pourquoi, lorsque ses jours arrivèrent à leur terme, il ressentit un grand chagrin, car il aurait voulu continuer à servir D-ieu dans la peine et les souffrances et il était peiné de voir qu’il allait quitter ce monde et que le service de D-ieu allait prendre fin pour lui. 
 
Nous apprenons ici un principe fondamental. Justement en exil, l’homme peut parvenir à des sommets élevés dans le service de D-ieu. S’il n’en tire pas parti, il y perd lourdement. Ya’aqov enseigne à toutes les générations qui se trouvent dans cet exil amer, comment s’élever et parvenir à la correction voulu. Il est bon de le faire à temps, afin de ne pas quitter ce monde avec le regret d’avoir failli à sa tâche.

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