La trompeuse vérité

« Vous êtes juive? » Les enfants étaient curieux. Une fille m'a demandé où étaient mes cornes et un garçon, pourquoi mon peuple avait tué son sauveur...

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la rédaction de Breslev Israël

Posté sur 08.11.21

Quand j'avais onze ans, ma famille a déménagé dans une région rurale du Maryland appelée Scaggsville. Mon père avait l'idée de vivre à la campagne, bien qu'il fût un intellectuel qui n'avait jamais tondu la pelouse de sa vie. Je pense qu'il avait dû voir trop d'épisodes de La petite Maison dans la Prairie.

J'étais enchantée de notre nouvelle maison – géante, 16 pièces, sur une acre et demie d’un magnifique terrain tout près d'un lac.

Le seul problème était que nous étions les seuls Juifs dans la ville. A cette époque, nous n'étions pas vraiment pratiquants et les vendredis soirs, mon père nous conduisait en voiture à la synagogue la plus proche, qui se trouvait dans le sous-sol d'une banque.

Les nouvelles se répandent vite. Notre nom de famille, Yafé, couplé avec nos cheveux noirs et le fait que tous les premiers dimanches à Scaggsville, nous ne nous étions pas montrés aux différents services des églises du quartier, étaient une révélation que nous étions juifs.

Les enfants de ma classe étaient curieux. Une fille me demanda où étaient mes cornes et un garçon, pourquoi mon peuple avait tué son sauveur. Je me souviens avoir sorti de la matsa de mon sac de déjeuner pendant Pessah’. Les enfants assis près de moi étaient intrigués, « Qu’est-ce que c’est que ce  gros cracker ? ». Je la fis passer, tout le monde en pris un morceau et ce fut bien apprécié. Je demandai à ma mère de mettre plus de matsa dans mon déjeuner le lendemain. Comme cela, je me fis des amis et j’étais bien, même si je savais que j'étais différente.

Mon frère aîné, lui, ne se sentait pas aussi bien que moi. Il était au collège local avec des élèves plus difficiles que mes camarades. Il se faisait souvent prendre à part et se battait régulièrement. Étant une fille, j'étais épargnée de tous ces tourments…

Sauf une fois. Un jour d’hiver, en fin d’après-midi, je prenais mon manteau de mon casier et me préparais à rentrer chez moi. Quatre des plus grandes filles, les plus effrayantes de l'école, vinrent vers moi et me poussèrent contre le mur. Elles me fixaient intensément et j'étais tellement impressionnée  que j’aurais voulu fondre sur place. « C’est vrai que tu es juive ? » Demanda l'une d’elles. Je me ressaisis, la regardai droit dans les yeux et… je mentis. « Je suis méthodiste ! » Dis-je fièrement. Elles m’ont cru sur parole et m’ont laissé m’en aller. Je courus pour attraper le bus scolaire qui quittait son stationnement.

Arrivée à mon arrêt, je descendis du bus et passai le reste de la soirée dans un profond état de honte. Je ne pouvais même pas le dire à ma mère. J'étais tellement déçue de moi-même. Pourquoi n'avais-je pas été plus courageuse, pourquoi n'avais-je pas choisi d’agir noblement et d’admettre fièrement que, oui, j’étais juive et prête à en assumer les conséquences, quoi qu'il arrive ? Je ne pouvais même pas dire, pour ma défense, que j'avais eu peur pour ma vie, parce que je n'étais pas convaincue que ces filles m'auraient frappée.

Cela s'est avéré être un moment déterminant dans ma vie. J'ai commencé à réfléchir à ce que cela signifiait que d’être juive et pourquoi les gens étaient si fiers de l’être. Si fiers et si engagés qu'ils étaient même prêts à mourir pour cela ! Ma volonté de mentir me fit comprendre que je n'estimais pas le fait d’être juive autant que j’aurais dû.

Des années plus tard, lors de vacances scolaires, je me rendis en Israël pour apprendre à connaître la Torah et le Judaïsme. Cela m’a amenée à devenir religieuse, à me marier avec quelqu’un qui étudie la Torah et à élever une grande famille dans la religion. (Mon frère est devenu religieux aussi, bien que ceinture noire de karaté !)

Quand je repense à ce moment-là à Scaggsville, dans le Maryland, où j'ai eu ce choix difficile à faire, je ne peux que ressentir de la gratitude envers le Tout-Puissant, pour le fait qu’au final, mon mensonge m’ait finalement menée à la vérité.

Traduit par Carine Rivka Illouz